« Concentrez-vous sur le positif. Même si à l’école on ne se sent capable de rien, il y a forcément un domaine, la danse, le chant-peu importe- où l’on se sent bien, sans forcément y exceller. C’est compliqué, mais la plupart des Dys arrivent à faire ce qu’ils aiment ! » Chaque fois qu’il rencontre des parents d’enfants dys, ou des enfants en classe, Christopher Boyd martèle le même message.
La preuve ? Lui, par exemple, avec ses trente ans, sa dégaine de grand adolescent, son regard qui rit derrière ses grosses lunettes rondes…Et sa BD, « Moi, dyslexique. Comment j’ai appris à vivre avec mes troubles dys » parue chez un éditeur français (Dunod) en septembre. Une BD qui raconte l’univers dys de l’intérieur, à travers son propre parcours, en grandes planches colorées et peu de mots, « parce que je l’ai d’abord pensée pour les enfants » explique-t-il.
Les montagnes russes de l’école « normale »
« Etre dys n’empêche pas d’ouvrir des portes là où il n’y en a pas » insiste Christopher. Depuis deux ans, il vit à 100 % de ce qu’il aime : dessiner, enseigner les arts graphiques à Montpellier où il vit, animer des ateliers artistiques…Quand il ne sillonne pas la France pour parler des troubles d’apprentissage avec sa BD, qu’il a d’abord publiée à son compte via un financement participatif. La première fois qu’il s’est trouvé face à auditoire de familles d’enfants dys, ce n’était pas simple. « Je ne rencontrais que des mini-moi, qui me renvoyaient à tant de souvenirs ! »
La notion du temps (matin, soir, succession des heures), les directions ou distinguer sa droite de sa gauche, «ça ne voulait rien dire. J’avais des mains, point.
Ses parents à lui, avaient compris très tôt que « quelque chose clochait » dans ses apprentissages. S’habiller seul et si possible à l’endroit ? Impossible. Quand il parlait, ce n’étaient pas forcément les bons mots. Et pas dans l’ordre « normal ». «Le fait que j’étais élevé dans deux langues avec un papa anglophone a peut être accentué les choses…Est ce parce que j’étais frustré de ne pas pouvoir me faire comprendre? A 4 ans en tout cas, j’ai carrément arrêté de parler pendant 2 semaines et pris du retard dans l’acquisition du langage. »
Ces souvenirs-là sont un peu flous. L’entrée à l’école primaire en revanche, pas du tout. Un stress pire qu’énorme : « toutes mes difficultés ont explosé au grand jour. Pour moi, ça ressemblait à des montagnes russes. Je ne comprenais… rien ! » La notion du temps (matin, soir, succession des heures), les directions ou distinguer sa droite de sa gauche, «ça ne voulait rien dire. J’avais des mains, point. Quand on m’a demandé si j’étais gaucher ou droitier, j’ai simplement copié sur le voisin.» Ce sera donc la droite. Par défaut : en réalité, il s’est découvert gaucher, beaucoup plus tard. Ecrire son prénom « et pas de bol, le mien est vraiment très long » : insurmontable. Apprendre à calculer ? « Quand on m’interrogeait, je choisissais un chiffre entre 1 et 100 au hasard, comme au loto. » Quant à la concentration, difficile, « elle me pose encore problème aujourd’hui », confie-t-il.
Les bienfaits d’une pédagogie adaptée pour les dys
Aucun de ses efforts pour faire comme les autres ne peut payer. Mais son école ne s’en soucie pas. Adultes ou camarades, « personne ne me comprenait. On me disait juste que j’étais bête.» Il en souffre, il en pleure. De plus en plus inquiets devant ces difficultés qui rejaillissent sur sa petite vie, ses parents ne perdent pas de temps, l’emmènent faire des batteries de tests : « un peu impressionnant. Je me sentais comme une souris dans un laboratoire ». Dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, dysphasie, difficultés de concentration…Le diagnostic révèle qu’il cumule à peu près tous les troubles d’apprentissage ! Trop pour pouvoir poursuivre sa scolarité dans le système « normal », juge le spécialiste qui l’oriente vers « un environnement adapté ».
C’est, enfin, bienveillant. J’ai découvert que si j’étais spécial, ici tout le monde l’était.
Direction l’institut Saint-Pierre, à dix kilomètres de Montpellier. Posé en bord de mer à Palavas-les-Flots, cet établissement pédiatrique, qui accueille les 0-18 ans de toute l’Occitanie pour des soins médicaux ou de réadaptation, propose aussi une classe adaptée pour ceux qui souffrent de troubles spécifiques du langage et des apprentissages.
Christopher entame un deuxième CP dans une classe de 10 élèves, avec la plage pour cour de récré et une prise en charge pluridisciplinaire. Orthophoniste et psychométricienne sont sur place. L’enseignante use de méthodes adaptées à chacun (visuelle ou tactile) pour leur faire apprendre une lettre par jour. « C’est, enfin, bienveillant. J’ai découvert que si j’étais spécial, ici tout le monde l’était. Et grâce à eux, j’ai appris à écrire. J’étais tellement content de pouvoir écrire comme les autres !»
Le dessin comme échappatoire
Les places y sont malheureusement rares. Au bout de trois ans, il a fallu qu’il laisse la sienne à d’autres pour retourner à l’école ordinaire. Dans le privé, cette fois, en redoublant le CE2. « C’est dur d’avoir 2 ans de plus que les autres quand on est enfant. Heureusement, ça ne se voyait pas trop parce que j’avais une tête de bébé » sourit-il.
Sa scolarité est aménagée, avec séances régulières d’orthophonie, de psychomotricité et de kinésiologie hors de la classe. Les enseignants sont plus à l’écoute, « mais je leur en veux quand même un peu de ne pas en parler plus facilement : de ne pas avoir expliqué aux enfants de la classe, qui se posaient des questions, ce que moi je ne savais pas leur expliquer. »
Je n’ai commencé à parler publiquement de ma différence qu’à 20 ans. Avant je ne voulais surtout pas la montrer, parce qu’elle était source de moqueries.
Ses parents sont un soutien sans faille. Mais vivre sa différence n’est pas facile. Pour se distinguer le moins possible, il a même très vite remisé au placard l’ordinateur que lui avait octroyé la MDPH (maison départementale pour les handicapés) pour l’aider en classe. « Je n’ai commencé à parler publiquement de ma différence qu’à 20 ans. Avant je ne voulais surtout pas la montrer, parce qu’elle était source de moqueries. » Au collège surtout. C’était dur. Une période de harcèlement sur laquelle il préfère ne pas s’étendre.
Sa vie scolaire ne s’est adoucie qu’à l’entrée au lycée professionnel. Le dessin a toujours été son refuge. « C’était mon échappatoire : à 7 ans, je dessinais déjà des BD, muettes au départ puisque je ne savais pas écrire. » En filière arts graphiques, ils ne sont que 15 dans la classe et Christopher se sent enfin comme un poisson dans l’eau.
Assumer ce que l’on est
Bac en poche à 20 ans, il enchaîne avec l’école supérieur d’arts Saint-Luc à Bruxelles. Dans le tram, tous les matins, il croque le portait de ses compagnons de trajet. Ses premiers dessins, il les a vendus là. Aujourd’hui, il sait qu’il a encore du mal à nager, ne se sent pas toujours tout à fait à l’aise en vélo. Le bruit et les lumières excessives le fatiguent. Ses mails ne sont pas toujours sans fautes : « mais maintenant que les gens savent, ils sont plus indulgents. J’ai digéré mon parcours et je me dis qu’on est comme on est, tous différents après tout, et on se sent beaucoup mieux quand on assume ce qu’on est » sourit-il.
Claudine Proust