« Sommes nous les seuls maîtres de notre destin ? » Le 17 juin au soir, deux des six finalistes de Tous éloquents débattront sur ce thème, développant leurs arguments, l’un pour et l’autre contre, sur la grande scène du théâtre Mogador à Paris. Captiver un auditoire, en contrôlant sa posture-et le trac- pour s’adresser au public, seul face à lui ; moduler ses intonations, le rythme de ses phrases, ses silences…aucun des candidats n’aurait sans doute imaginé maîtriser ce destin-là il y a quelques mois.
Pas plus que Mounah Bizri, président fondateur de l’association Éloquence de la différence ne s’en imaginait capable, quand il s’est inscrit au concours d’éloquence de son école de commerce, tant il se sentait embarrassé par son bégaiement. Un trouble de la parole longtemps vécu comme une faiblesse à cacher, dans la honte et la peur du regard des autres.
C’était en 2014. Il avait 21 ans et cette expérience a profondément changé sa vie : « j’ai compris que c’était précisément dans ces fragilités que résidait ma plus grand force, car elle m’avait forgé au quotidien. Accepter nos vulnérabilités, c’est se libérer, oser être vrai devant soi-même et devant le monde entier » affiche haut et fort le jeune entrepreneur, qui s’est depuis récemment vu diagnostiqué autiste et tdah.
Tout le monde peut devenir éloquent
Et si cette expérience a été une révélation pour Mounah, pourquoi ne pas aider d’autres que lui à apprivoiser les handicaps qui entravent leur communication, leur insertion professionnelle voire leur vie personnelle, et à mieux vivre leur différence, en leur proposant de participer aussi à des concours d’éloquence ?
Lorsque Mounah Bizri l’a lancée en 2019, le projet porté son association ne s’adressait qu’aux personnes qui bégaient. Trois ans et plusieurs éditions du concours plus tard, Éloquence du bégaiement s’étend sur tout le territoire, s’ouvre à d’autres handicaps (trisomie 21, autisme, surdité, déficience visuelle, troubles psychiques) et devient Éloquence de la Différence.
L’association, qui a accompagné 264 bénéficiaires en 2024, développe quatre programmes, dont Tous Éloquents, ouvert à toute personne concernée de plus de 16 ans. Le plan de la formation, dont la finale constitue l’aboutissement, vitrine d’une véritable aventure humaine reste le même. Et il est dense !
Un accompagnement humain soutenu
Passé le cap d’un premier entretien de « recrutement », où le candidat explique ses objectifs et se voit détailler le programme-et ce qu’il implique-les séances intensives de formation, pendant six à huit semaines, toujours accompagné de professionnels (orthophonistes, coach) et de pairs bénévoles.
Des masterclass les samedis à Paris, des ateliers hebdomadaires- en visio si l’on vit en province- une demi finale, un concours blanc… « Au total j’ai du faire dix aller-retours à Paris, en m’organisant pour prendre le train le vendredi soir afin pour être à pied d’oeuvre les samedis matin » sourit Cécile. Finaliste l’année dernière, la jeune quinquagénaire, qui vit en Gironde et travaille en milieu hospitalier, était loin de se sentir capable d’une telle organisation. Son autisme a été diagnostiqué il y trois ans seulement. Mais d’aussi loin qu’elle se souvienne, s’exprimer, communiquer avec les autres, « avec un bon volume de voix » a toujours été un défi pour elle. Quasi-insurmontable au téléphone et handicapant au quotidien, « dans ma vie personnelle et professionnelle, alors que je suis souvent amenée à prendre la parole en réunion. »
C’est pourtant la même Cécile qui, confrontée au sujet imposé « la différence est-elle une force ? » a su écrire et développer oralement son argumentaire «pour », et remporter le prix de l’authenticité au Grand Rex, puis celui de l’engagement, lors du concours d’éloquence organisé au Palais de Elysée en février dernier.
Une revanche sur le handicap
« J’ai tellement de satisfaction d’avoir réussi à le faire ! s’exclame Cécile. Mais le parcours de Mounah, et de tous les pairs-bénévoles qui nous accompagnent dans cette aventure, montrant et que l’impossible est possible est tellement porteur ! ». Pour elle, c’est clair, l’aventure humaine du concours d’éloquence lui a offert « une revanche sur le handicap : je l’ai accepté, accepté de le dire, découvert le plaisir d’écrire, appris toutes les techniques-poser sa voix, la diction, l’intonation-très aidantes, appris à me faire confiance. Aujourd’hui je n’ai plus peur d’aller seule à Paris ou à l’hôtel non plus. »
Son seul regret ? Ne pas pouvoir monter à la capitale-travail oblige- pour assister à la finale cette année.
Claudine Proust
Pour assister à la grande finale de Tous éloquents, le 17 juin à 20 heures au théâtre Mogador, c’est gratuit, sur inscription : https://www.eventbrite.fr/e/billets-tous-eloquents-re-inventer-leloquence-pour-accepter-la-difference-1302222696139?aff=oddtdtcreator