« Depuis l’école inclusive, on a fait le choix à l’école, de ne plus regrouper les élèves en situation de handicap en classe ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire ). Ils sont comptabilisés et mis sur la liste d’appel d’une classe « normale » au même titre que les autres élèves, ils font donc partie de l’effectif de cette classe. C’est une nouveauté. Avant, ils étaient tous en classe ULIS avec des enseignements spécifiques, une maîtresse formée et ils étaient intégrés ponctuellement dans les classes classiques sur des matières précises, comme les arts plastiques, le sport, la musique.
Un accueil en classe « normale »
Aujourd’hui, c’est l’inverse, ils sortent du groupe classe pour intégrer la classe ULIS à différents moments de la journée, sur des matières complexes comme les mathématiques et le français, matières qui nécessitent une adaptation des apprentissages dispensés par notre enseignante spécialisée, aidée d’une AESH. Cet accueil en classe ULIS doit permettre de soulager la maitresse de la classe normale (ou maitresse d’accueil) parce qu’au quotidien dans des classes hétérogènes, la différenciation-c’est-à-dire l’adaptation des enseignements selon le profil des élèves-est difficile à mettre en place.
Pénurie d’AESH et absence de formation
« Depuis 5 ans, on voit une augmentation des dépistages et la diminution des places dans les établissements spécialisés type IME. Ces modifications se répercutent sur l’école publique qui accueille de plus en plus d’enfants à besoins spécifiques : des enfants HPI, Dys, TDAH (trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), autistes …
Mais les degrés de handicap sont très variables et l’on reçoit régulièrement des notifications MDPH avec octroi d’une AESH… qui n’est pas toujours nommée faute de recrutement suffisant ! Les enfants que nous accueillons ne sont donc pas accompagnés comme ils le devraient : ils se retrouvent en classe normale et c’est à nous, enseignants, de les guider seuls dans leurs apprentissages, sans qu’on ait reçu de formation adéquate. En tant que professeur, nous avons droit à 18h de formation obligatoire tous les ans, c’est ce qu’on appelle le plan de formation. Malheureusement ce qui est proposé se limite souvent, en priorité à l’utilisation d’outils informatiques (le tableau blanc interactif avec vidéoprojecteur et les stylets).
Me retrouvant donc, faute de recrutements d’AESH suffisant, avec un enfant à besoin particulier non accompagné, je n’ai pas d’autre choix que de me former…toute seule ! Concrètement ? Cela veut dire, chercher des informations sur Internet, échanger avec des collègues, utiliser les préconisations pédagogiques des orthophonistes quand il y en a : ce n’est pas idéal.
La mise en œuvre des recommandations reçues à la suite des bilans (utiliser des pictogrammes, mettre les syllabes en couleur, en bleu ou en rouge par exemple, pour aider à la lecture) est en outre très chronophage ! E l’état actuel, il m’est impossible de proposer un enseignement sur mesure à chaque élève, sans tenir compte aussi des contingences du groupe classe.
Les limites de l’inclusion ?
L’une des grandes difficultés pour nous, enseignants, c’est l’hétérogénéité des classes, avec des écarts de niveaux qui sont importants. On a parfois le sentiment de porter une attention particulière aux enfants en difficulté, au détriment des autres enfants, qu’on pourrait amener plus loin si on avait plus de temps ou si le groupe était plus homogène. Au quotidien, c’est très frustrant.
Pour moi, l’école inclusive telle qu’elle existe aujourd’hui a donc ses limites. J’ai bien conscience que ce n’est pas politiquement correct de dire ça, mais c’est une réalité : il y a aujourd’hui des situations où l’inclusion est dure, voire impossible à mettre en œuvre, faute d’accompagnement adapté.
Cette année par exemple, j’ai un élève autiste très difficile. Il insulte, tape et s’échappe en cours de sport. Je me suis retrouvée à devoir exercer une mesure de contention, alors que ce n’est pas mon métier: je n’ai pas été formée à gérer cela. Mais j’étais seule, je n’avais pas le choix. J’ai eu l’impression d’être maltraitante. Si l’AESH avait été recrutée, comme il se devait, pour accompagner cet enfant, de telles situations n’existeraient pas.
Il faut en être conscient : actuellement, l’école n’est pas en mesure de répondre spécifiquement à chaque enfant à besoin particulier. Ca ne veut pas dire que rien n’est fait : on essaie juste de faire comme on peut. Avec les moyens du bord ».
Propos recueillis par Elvire Cassan