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« La santé des enfants n’a rien à voir avec de l’empirisme »

Le Pr Richard Delorme, directeur du centre d'excellence Autisme et troubles du neurodéveloppement d'Ile de France (InovAND) et chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert-Debré à Paris, souligne l'urgence de considérer, enfin et vraiment les troubles du neurodéveloppement en France : avec de la science, des moyens financiers, et de la volonté politique

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    Dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale pour les troubles du neuro-développement, Emmanuel Macron a officiellement annoncé l’ouverture de l’Institut du cerveau de l’enfant, que vous allez diriger. Quelle est sa mission ?

    Pr Richard Delorme. La création de l’Institut du cerveau répond à une urgence à la fois en termes de santé publique mais aussi en termes de territoire. La santé publique, d’abord : 16% de la population française souffre d’un TND (trouble du neuro-développement) et l’État a, jusqu’ici, largement sous-investi pour accompagner leurs besoins spécifiques.

    A titre de comparaison, le Plan national « maladies rares » était doté de 800 millions d’euros, contre « seulement » 543 millions pour les TND alors qu’elle touchent pourtant un Français sur six ! Il y a un vrai paradoxe entre ce qui nous intéresse le plus – ou ce dont on déclare que cela nous intéresse le plus, nos enfants- et ce qui est réellement investi dans leur santé et leur bien-être.

    Aujourd’hui, dans notre pays, on propose encore aux familles de ces enfants des stratégies non médicamenteuses qui ne fonctionnent pas- ou mal- en se référant à des croyances illogiques en termes de santé mentale.

    L’Institut du cerveau s’élèvera, géographiquement, au cœur de l’Hôpital Robert Debré, à la frontière du département de la Seine-Saint-Denis (93). Avec 1/5 de la population vivant sous le seuil de pauvreté, ce département cumule de nombreux facteurs de risques médico-sociaux. Les familles qui ont  un enfant atteint d’un TND doivent y affronter de nombreuses difficultés : à la fois pour répondre à leurs besoins essentiels (logement, alimentation, emploi, scolarité), et pour accompagner la souffrance et les impératifs complexes des troubles de leur enfant.

    Notre ambition est de transférer le savoir sur le cerveau dans la vie de tout un chacun. Aujourd’hui, dans notre pays, on propose encore aux familles de ces enfants des stratégies non médicamenteuses qui ne fonctionnent pas- ou mal- en se référant à des croyances illogiques en termes de santé mentale. L’idéologie prend le pas sur la science, et c’est inadmissible, car la santé des enfants n’a rien à voir avec de l’empirisme.

    Il existe de nombreuses recommandations médicales internationales et l’on se doit de les considérer dans nos pratiques, comme on le fait pour n’importe quel autre trouble ! Accepterions-nous qu’un cardiologue ne suive pas les recommandations internationales pour soigner un infarctus ? Pourquoi y a t-il de telles tolérances lorsqu’il s’agit de la santé mentale des enfants souffrant d’un TND ? L’institut du Cerveau de l’Enfant veut porter l’excellence médicale et scientifique au coeur des besoins des populations les plus vulnérables.

    Quel échéancier pour cet Institut du cerveau ?

    Pr R. D. L’Institut ouvrira en 2027 et va être construit dans l’enceinte de l’hôpital Robert-Debré. Il regroupera des équipes de recherche sur les TND, des neuropédiatres, des pédopsychiatres, des spécialistes de génétique clinique, de néonatologie, mais aussi tous les spécialistes qui permettent de créer un parcours de soins cohérent pour les enfants : ORL, Physiologie, imagerie médicale, biologie moléculaire etc…

    Aujourd’hui, déjà, 50% des consultations de Robert-Debré concernent des patients avec des TND. A l’avenir, nous allons réunir tout l’écosystème, les médecins, les familles, les start-ups. C’est important pour créer des synergies fertiles. Avec cette diversification, nous allons pouvoir faire un saut qualitatif, mais aussi quantitatif : car aujourd’hui, quand on reçoit un patient, 25 autres restent à la porte ! Nous devons répondre aux immenses besoins des populations car il existe un énorme décalage entre ces besoins et les soins qu’on leur offre dans notre pays.

    Comment expliquez-vous ces années de sous-dotations pour les TND ?

    Pr R. D. Je pense que les professionnels ne mesurent pas assez la gravité de ces troubles. Alors que ce n’est pas « rien », par exemple, d’être atteint de dyslexie. C’est grave. Parce que pour l’enfant, et pour l’adulte qu’il sera, c’est une souffrance au quotidien. Combien d’enfants- et d’adultes- perdent confiance en eux et voient leur avenir assombri ? Combien de parents sont en souffrance avec l’impression d’être seuls face aux difficultés de leur enfant ? Combien de mères sont professionnellement inactives, pour pouvoir accompagner leurs enfants, qui ne trouvent pas leur juste place à l’école ?

    Les souffrances ne se comparent pas, mais toutes se considèrent.

    Le handicap cognitif est encore rejeté hors du « droit commun » de la santé et c’est une profonde inégalité. Lorsque vous avez un cancer par exemple, votre médecin vous inscrit directement pour une prise en charge à 100% à la sécurité sociale. Si votre enfant est autiste, c’est la MDPH qui doit prendre en charge les soins avec la psychologue ou la psychomotricienne, et parfois l’orientation vers des structures médico-sociales… Avec tous les retards et les incompétences que l’on ne connait que trop bien. Les souffrances ne se comparent pas, c’est évident, mais toutes se considèrent. Or on a longtemps considéré que les TND n’étaient pas des « vraies » maladies.

    Les familles sont très sévères avec les institutions, notamment les MDPH.

    On accepte d’attendre des mois, parfois plus d’une année pour qu’un dossier sorte de la MDPH et recevoir le financement d’une prise en charge urgente. Est-ce que l’on imaginerait cela pour la prise en charge d’un diabète ?

    Pr R. D. Elles ont raison ! Les besoins des familles sont totalement dissonants avec ce que proposent les organisations, non seulement en termes de délais, mais aussi en termes de qualité de prise en charge. Comment admettre qu’en France, on puisse  aller dans un CMP (centre médico psychologique) et ne pas être traité médicalement selon les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ? Ce sont des pertes de chance, que l’on n’accepterait pas (à raison) dans le cancer ou pour n’importe quelle autre affection. Mais dans le cadre des pathologies mentales, ça ne gêne personne !  On accepte d’attendre des mois, parfois plus d’une année pour qu’un dossier sorte de la MDPH et recevoir le financement d’une prise en charge urgente. Est-ce que l’on imaginerait cela pour la prise en charge d’un diabète ? Ou pour un AVC ? C’est comme si on pensait collectivement que les TND « ce n’est pas grave », ou en tout cas moins que les autres ‘vrais’ troubles.

    Comment pousser les pouvoirs publics à l’efficience ?

    Pr. R. D. Je crois beaucoup au pouvoir des familles. Il faut les aider à monter en compétences, les informer, les aiguiller. Il faut aider les associations de patients pour qu’elles fassent poids et aiguillonnent les politiques publiques. Dans le monde du HIV, c’est ce qui a vraiment fait avancer la cause des malades : la pugnacité des associations et des familles de malades. Dès que l’on touche  au cerveau, on imagine que finalement, chacun pourrait avoir son avis, qu’il n’y a pas de connaissances spécifiques et de stratégies thérapeutiques nécessitant de réelles expertises ? Il faut changer urgemment la manière de représenter les choses. Si on considère que les TND sont des pathologies, alors il faut désormais agir comme pour les autres pathologies. Avec de la science, avec des moyens financiers, avec de la volonté politique. Cette nouvelle stratégie gouvernementale pour les TND va dans le bon sens. Elle devra clairement aider à porter plus d’égalité et plus de cohérence pour accompagner la trajectoire neurodéveloppementale de chaque enfant et de l’adulte qu’il deviendra.

    Propos recueillis par Céline Raoux

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