En France, le taux de chômage est quasi le double pour les personnes en situation de handicap comparé à la population totale (12 % contre 7% en 2022 selon l’Insee). Il dépasserait même les 95% pour les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) . C’est face à ce terrible constat que Jean-François Dufresne, ancien directeur général chez Andros et père d’un garçon autiste, a lancé il y a une dizaine d’années une expérimentation inédite sur le site industriel de Novendie, à Auneau, en Eure-et-Loire.
Son objectif ? Réussir à insérer des personnes avec un trouble du spectre de l’autisme-même quand il est associé à des déficiences intellectuelles- dans un milieu de travail ordinaire, tout en les aidant, en parallèle, à vivre en quasi-autonomie, à quelques pas de leur lieu de travail. « Le problème pour ces personnes n’est pas uniquement de trouver un emploi, c’est aussi de mener une existence la plus autonome et la plus intégrée possible dans la société » milite ce père de famille, qui en voulait au départ avant tout offrir «une existence digne » à son propre fils devenu adulte.
Une expérience qui essaime
Dix ans plus tard, le pari a porté ses fruits. Le dispositif d’abord instauré chez Andros a permis l’embauche de onze personnes autistes en CDI. Il s’est même déployé sur un deuxième site en Corrèze, avec dix autres embauches en confiserie. Mieux : l’expérience portée par l’association Vivre et Travailler Autrement (VETA) que préside Jean-François Dufresne a fait des émules, convaincant d’autres entreprises à se lancer à leur tour.
« Après avoir entendu parler de l’expérience d’Andros, Guerlain nous a contacté, pour que nous les aidions à embaucher 5 personnes sur leur site de Chartres, raconte Marylin Causse, directrice de l’association. Nous avons ensuite signé une charte d’engagement avec LVMH, afin d’accompagner l’ensemble des maisons du groupe qui le souhaiteraient à se lancer dans l’inclusion. Deux sites chez Dior s’y sont déjà ouvert, avec deux premières embauches, et nous étudions actuellement les possibilités sur des sites de Louis Vuitton ». Depuis 2021, 17 embauches ont également été réalisées sur trois sites de l’Oréal et 3 autres dans l’usine Barilla, à Montierchaume dans l’Indre.
Des collaborateurs autistes en CDI
À chaque fois, l’objectif et le dispositif développés avec la méthode VETA restent les mêmes : «même si c’est souvent à mi-temps, les collaborateurs doivent être embauchés en CDI en milieu ordinaire et bénéficier d’un habitat de type partagé et inclusif, où on leur apprend peu à peu à devenir autonome sur leur deuxième partie de journée » détaille la directrice.
Pour ce faire, VETA collabore avec plusieurs associations médico-sociales locales, comme PEP, ADEPEI, ou la Nouvelle Forge. « Nous les formons et les coachons, pour leur apprendre à inclure les personnes TSA en milieu ordinaire, que ce soit dans l’emploi ou dans l’habitat. » Car ce sont elles, ensuite, qui accompagnent les personnes TSA et les entreprises dans la phase d’intégration. Les entreprises, elles, « s’engagent à embaucher entre 5 à 10 collaborateurs sur chaque site, avec une montée en charge progressive sur 2 à 3 ans. »
Vivre en autonomie, dans la société
Côté logement, l’association travaille avec les bailleurs sociaux pour trouver des logements adaptés, qui offrent «une partie privée et des parties communes, permettant de vivre en colocation » précise Marylin Causse. Les personnes y sont aussi accompagnées, pour les aider à devenir autonomes. Selon les besoins, « on leur apprend à mettre la table, faire les courses et leurs repas, à se lever et se laver, mais aussi à faire du sport ou de la musique, s’ils le souhaitent », détaille la directrice de l’association, qui travaille aussi avec l’environnement local. En Corrèze, par exemple, Vivre et Travailler Autrement a été rencontrer le club de rugby local, pour les sensibiliser à l’autisme et les inciter à l’inclusion. « On sensibilise aussi le quartier, les commerçants, les professionnels libéraux, et tous les établissements de proximité, afin que la personne autiste puisse peu à peu devenir la plus autonome possible dans son environnement. » Et ça marche ! La preuve ? Plusieurs salariés devraient prochainement emménager dans leur propre appartement, toujours à proximité des équipes. « On étudie la faisabilité pour cinq d’entre-elles actuellement » confirme Marylin Causse.
Un modèle inscrit dans la stratégie nationale
Mais la plus grande réussite de l’association est sans doute d’avoir réussi à inscrire ce modèle d’inclusion dans la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (TND) 2023/2027. « Jusqu’ici, ces personnes adultes avec un TSA n’avaient qu’une seule possibilité : aller en Institut médico-social pour des activités occupationnelles. Désormais, il y a un fléchage pour leur permettre d’accéder à la possibilité de travailler et de vivre en milieu ordinaire» sourit la directrice, qui espère pouvoir essaimer le modèle encore plus loin. Elle attend de pied ferme une instruction ministérielle, qui inciterait toutes les agence régionale de santé (ARS) et les conseils départementaux à initier un dispositif similaire pour une dizaine de personnes par département. Ce serait une véritable avancée pour toutes les personnes avec un TSA, jusqu’ici écartées de l’emploi. Et de la vie en société.
Véronique Bury
→ Pour aller plus loin sur le sujet de l’emploi des personnes neuroatypiques, notre dossier, est à découvrir dans le numéro 2 de Zèbres & Cie.