Un « éditeur militant ». Militant, au sens de travailler « pour améliorer les choses, dans la vaste sphère des troubles dys, TDAH, troubles du spectre de l’autisme. Ainsi se définit Alain Royer. Il est aussi un précurseur. Car si d’autres éditeurs publient aujourd’hui des ouvrages dédiés à une meilleure connaissance des neuro-atypies, il a été le premier.
Il avoue pourtant : quand il a co-fondé Tom Pousse, la maison d’édition indépendante devenue spécialiste dans l’accompagnement des enfants, adolescents et adultes atypiques, il ne connaissait pas grand chose aux aléas du neuro-développement. Pas même ceux qui comme la dyslexie ou la dysphasie perturbent l’apprentissage de la lecture et du langage.
A cette époque, les Dys, on n’en parlait pas
Le langage, pourtant, il connaît. Et bien, même : Alain Royer est linguiste. Dans une première vie professionnelle, il a enseigné cette discipline à la fac, pendant une dizaine d’années, jusque dans les années 1980. « Je n’avais aucun étudiant dyslexique » se souvient-il…Ou plutôt, corrige-t-il aussitôt, aucun ne l’était à sa connaissance, parce qu’à cette époque, les dys on n’en parlait pas : « ça ne se disait pas. Moi qui ai parlé de langage pendant dix ans, je n’ai jamais parlé de troubles dys non plus. Je pensais alors que cela relevait du médical. En fait, j’ai recommencé à étudier en publiant des livres sur des troubles auxquels je ne connaissais rien. Ce qui m’a donné une grande souplesse, parce que je n’avais aucun a priori.»
Sa plongée dans le monde des neuro-atypies est venue sur le tard, après avoir tourné le dos à l’université, écrit une centaine d’ouvrages jeunesse publiés chez de nombreux éditeurs et des scénario pour un producteur de séries animées dont il dirigeait le département jeunesse… Jusqu’à ce que la société se fasse avaler par un grand groupe.
Quittant ce navire à soixante ans, Alain Royer ne se voyait pas du tout à la retraite. « Je me suis dit que j’allais horriblement m’ennuyer » résume-t-il. En se lançant dans l’édition avec sa devise « apprendre pour grandir », il pensait au départ essentiellement travailler sur l’apprentissage de la lecture. Le premier ouvrage publié, écrit par une institutrice, portait d’ailleurs sur une méthodologie pour apprendre à lire.
100 idées pour venir en aide aux enfants dyslexiques
« Et puis j’ai rencontré la fondatrice d’une association de parents d’enfants dyslexiques, qui m’a parlé d’un livre paru aux Etats-Unis : 100 idées pour venir en aide aux élèves dyslexiques. Elle avait proposé à un éditeur français de le reprendre, mais il n’en voulait pas. » Un coup de fil aux Etats-Unis, un chèque de 700 dollars pour en acheter les droits et Tom Pousse le publie. « C’est tout bête et je n’ai rien inventé » résume le septuagénaire, dans son étroit bureau tapissé du sol au plafond d’ouvrages estampillés Tom Pousse.
Quinze ans plus tard, la maison d’édition n’a rien à envier à son homonyme (Tom Pouce), mini-héros folklorique qui prouvait que même tout petit, on peut voir grand, en creusant le sillon des ouvrages dédiés aux troubles d’apprentissage et/ou cognitifs, aux problèmes d’inclusion scolaire et aux ouvrage pratiques pour aider à mieux les prendre en charge.
« Aider l’enfant en difficulté à l’école primaire », « mieux gérer les troubles de l’attention », « accompagner les émotions des enfants et adolescents », « enseigner les habiletés sociales », ou encore « accompagner les jeunes neuro-atypiques face au harcélement »…La collection 100 idées, qui répond de manière très accessible au large spectre des questions et besoins des parents et/ou éducateurs pour accompagner les enfants en difficulté, en proposant des exemples pédagogiques concrets de professeurs, orthophonistes, neurologues, psychologues expérimentés en TND, cartonne.
Aider à comprendre pour mieux agir
Autre succès au catalogue de Tom Pousse, accessible sur son site en ligne , la collection Les Tutos. Cette série d’ouvrages courts et pratiques destinés aux parents et professionnels de l’éducation et du soin explore là encore plusieurs thèmes, des troubles visuo-spaciaux au développement cognitif par le jeu en passant par les troubles d’apprentissage en mathématiques. Avec un seul but : aider à comprendre pour mieux agir.
Pour savoir comment agir justement, quand on est parent ou enseignant d’un enfant en difficulté au quotidien ou à l’école, Tom Pousse a également développé une série de guides pratiques sous la bannière « Concrètement, que faire ? »
Parce que les enfants finissent toujours par grandir, la maison d’édition s’est lancé l’an dernier dans une nouvelle collection, destinée cette fois aux ados-collégiens atypiques avec des romans jeunesse adaptés, qui leur parlent et n’existaient jusque-là nulle part en littérature jeunesse.
Détricoter les « neuromythes »
«Le trouble ne s’efface pas avec l’âge » rappelle Alain Royer, bien décidé à continuer de creuser le sillon pour accompagner aussi les plus âgés, que ce soit le passage à l’âge adulte des autistes, ou ce que qu’implique un diagnostic asperger à 50 ans.
La retraite ? A 76 ans, Alain Royer n’y pense toujours pas. Pas avant 3 ou 4 ans, dit il. D’ici là, il a bien l’intention de publier des ouvrages qui répondent au besoin-encore criant- de formation des personnels du médico-social, pas forcément au fait des dernières avancées des neurosciences. Et dès cette année, pour tout le monde, de lancer une collection qui détricote un par un tous les « neuromythes » qui polluent encore la compréhension des neurodiversités.
Claudine Proust