7 ans ? 8 ans ? Sacha France-Albertini ne sait plus quel âge il avait lorsque, après une succession d’entretiens médicaux, est tombé le diagnostic : TDAH, acronyme pour trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. En revanche, ils se souvient d’avoir entendu sa mère pleurer en cachette les jours suivants.
« Mes parents se sont sentis coupables », raconte le jeune élu originaire du Val-de-Marne. À tort. Le TDAH est un trouble du neurodéveloppement. L’origine largement génétique est aujourd’hui avérée (avec une héritabilité de 70 à 80%) et des facteurs de risques aggravants (notamment la prématurité et le faible poids à la naissance).
Le traitement médical de Sacha commence dès cette année de CE1, et son comportement change. « La première fois que j’ai pris le traitement, c’est comme si j’étais shooté. Il m’a fallu un temps d’adaptation. »
« Le collège a été le plus difficile »
Sur le plan scolaire, les difficultés de Sacha ne l’ont pas trop encombré: peu adepte des matières scientifiques, son goût pour les langues et l’histoire compensent. La question du recours à un AESH (Accompagnant d’Élève en Situation de Handicap) s’est quand même posée. Ses parents et lui ont préféré refuser une telle aide, craignant qu’elle ne creuse davantage le fossé entre lui et les autres enfants.
« Le collège, ça a été le plus difficile », témoigne néanmoins Sacha, sur le front de la vie sociale notamment. Sa « grande timidité » ne l’aide pas a pas à se faire beaucoup d’amis. « J’étais plus mature que les autres, et déjà passionné d’aviation à l’époque où les autres ne s’intéressaient qu’aux cartes Pokemon », se souvient-il.
Le petit Sacha n’était jamais invité aux anniversaires de ses copains. Jamais. « C’était à cause des parents », guère enclins à accueillir celui que les enseignants classaient dans la famille des « agités », celle des « perturbateurs » ou des « mal élevés ». Lui ignorait les raisons de cette mise à distance. Sa mère, elle, le savait. « Elle l’a très mal vécu. »
Harcèlement et rejet
Les médicaments aidant, le collégien voit son corps changer. Une prise de poids conséquente à un âge déjà trop ingrat, et voilà que l’ombre du harcèlement s’invite au tableau. Moqueries, violences, réseaux sociaux. L’enfer.
Le « rejet », il le subit aussi de la part de certains enseignants. « Ça m’a pas beaucoup aidé », euphémise-t-il. Dans les replis de ses douloureux souvenirs, loge encore cette initiative de son professeur principal de 6° : installer une « zone tampon », matérialisée par des tables et chaises vides, pour maintenir Sacha à l’écart de ses camarades.
Pire, « pour le CPE, tous les problèmes venaient de moi. C’est comme si c’était de ma faute si je me faisais harceler », se souvient Sacha. « Sur le harcèlement comme sur le TDAH, il y a un manque cruel de formation et d’actions concrète dans l’Education nationale. Heureusement, les choses commencent à bouger », estime-t-il, prenant pour exemple la possibilité désormais d’exclure l’élève harceleur au lieu de muter celui qui est harcelé.
Formation des enseignants
Le 14 novembre, Sacha a néanmoins interpellé Emmanuel Macron en visite à la maison de l’autisme, à Aubervilliers, le jour de la présentation de la stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement. « Quelles mesures vous et le ministre de l’Éducation nationale comptez-vous prendre pour mieux former les professeurs et accompagner les jeunes TDAH pour remédier à cet enfermement, ce harcèlement et donc cette souffrance ? »
« Le croisement des spécificités que peuvent avoir les élèves accroit le fait d’être cible de harcèlement. Si ça n’est pas vu par la communauté pédagogique, si ça n’est pas dument accompagné et si on écarte pas les harceleurs, on ne répond pas au sujet », consent le président, soulignant que les questionnaires distribués aux élèves courant novembre servent à ça, remettant ainsi en avant le récent plan du gouvernement. Emmanuel Macron a également rappelé la systématisation d’une formation sur le harcèlement pour tous les nouveaux maîtres d’école et l’accès à cette compétence par la formation continue. L’ensemble des acteurs de la communauté éducative seront formés d’ici à la fin du quinquennat, selon une promesse de la première Elisabeth Borne.
La politique, virus et remède
Il a fallu attendre le lycée pour que la vie scolaire de Sacha s’adoucisse. L’action conjuguée de son traitement médical et de suivi psychologiques portent ses fruits. Ses difficultés s’atténuent et ses camarades, plus matures, commencent à le laisser tranquille. Il obtient son bac en 2021 et découvre la fac par le biais d’une double licence histoire-anglais. Mais le fonctionnement de l’université ne lui convient pas. Il s’ennuie, jusqu’au jour où Valérie Pécresse entre dans sa vie.
En novembre 2021, la présidente de la Région Ile-de-France se qualifie pour le second tour de la primaire du parti Les Républicains en vue de l’élection présidentielle. « J’ai vu un espoir en cette femme », raconte Sacha, qui assure avoir « toujours été de droite ». Valérie Pécresse remporte ensuite la primaire. Sacha visite son QG de campagne et au gré des rencontres, finit par rejoindre son équipe.
« Comme la fac ne me plaisait pas, j’ai voulu donner de mon temps et être utile », explique le jeune homme. Campagne téléphonique pour mobiliser les troupes, missions pour tirer profit des réseaux sociaux, tour de France avec la candidate… « C’était un super moyen pour moi de me dépenser, en me levant tous les jours pour mener une vie à 100 à l’heure ».
Son engagement aide Sacha à surmonter sa timidité et sa « grande susceptibilité ». « Quand on est TDAH, on prend les choses très à coeur. Lors de mes premières distribution de tracts sur le terrain, j’avais du mal à accepter les critiques. Je canalise beaucoup mieux mes émotions depuis que je fais de la politique », témoigne le jeune élu d’Ile-de-France.
« Pour moi, ce n’est pas un handicap », balaie Sacha à propos de son trouble dont il assure faire « une force au quotidien ». « Quand les choses m’intéressent, je les fais vite et bien », explique-t-il.
« J’ai attendu 11 ans avant d’en parler »
Il n’empêche, avant du sortir du bois et d’évoquer publiquement son trouble, le jeune politicien a hésité. Une chronique sur le TDAH, remplie d’approximations blessantes et diffusée sur France Inter, l’a convaincu. « J’ai attendu 11 ans avant d’en parler. J’avais peur d’être rejeté, alors que pas du tout. J’ai reçu énormément de messages de soutien, y compris d’autres militants. L’un d’eux m’a dit qu’il était TDAH également. M’avoir vu en parler l’a touché et le fait songer à parler de ses difficultés », se réjouit Sacha.
Aux jeunes touchés par le TDAH, Sacha conseille de se battre, et surtout, de « ne pas écouter ceux qui vous disent que vous ne réussirez pas. » Il souhaite à chacun de trouver, comme lui, une passion à laquelle se consacrer. Aux parents, il propose ces quelques mots pour les rassurer : « Ne vous en faites pas, ça va être dur, mais quand votre enfant trouvera sa voie, tout ira mieux. Battez-vous avec lui, soutenez-le, aidez-le. S’il se bat et qu’il croit en lui, il sera épanoui. » Et pour sa part, Sacha, s’estime-t-il épanoui aujourd’hui ? « Oui, bien sûr que oui. »
Richard Monteil