Faut-il s’en inquiéter, si l’enfant se met régulièrement à bégayer ?
Elisabeth Vincent. L’inquiétude est bonne conseillère s’il s’agit de s‘inquiéter au bons sens du terme, c’est à dire s’y intéresser. Le bégaiement survient le plus souvent entre deux et quatre-cinq ans, à une période d’intense stimulation pour l’enfant : à un âge où sa pensée commence à aller vite mais où il n’a pas encore les moyens de ses prétentions au niveau moteur et langagier pour communiquer. Sa pensée, ses émotions se bousculent et le bégaiement apparaît. Les débuts peuvent être progressifs ou brutaux, sans influence sur le pronostic. Plus qu’un embarras de la parole, le bégaiement est un trouble qui a des répercussions sur la communication. Il est fluctuant : on ne bégaie généralement pas quand on parle seul ou à son animal. Ni quand on chante ou que l’on joue : certains acteurs bégaient dans la vie, mais pas lorsqu’ils sont sur scène ! Chez nombre d’enfants, le bégaiement ne sera que passager. Le problème est que l’on a aucun moyen de le savoir à l’avance.
Y a t-il un lien entre bégaiement, TDAH et troubles dys ?
Le bégaiement partage de nombreux traits avec les troubles dys. Il est considéré comme un trouble neurodéveloppemental : on en parle de plus en plus comme une neuroatypie. « Le bégaiement, une parole atypique », sera d’ailleurs le thème du 11e colloque de l’Association Parole bégaiement au sein de laquelle je milite depuis plus de 30 ans, en mars 2025. Pour ce qui est de l’origine du bégaiement, elle est multifactorielle. On évoque l’incidence probable d’une composante génétique et l’existence d’un terrain familial : statistiquement, un parent bègue a trois fois plus de chance d’avoir un enfant qui bégaie. Mais ce n’est qu’une prédisposition et ce n’est pas une condition suffisante. La recherche se concentre sur une base neurologique : la piste explorée actuellement serait celle d’un déficit de dopamine, d’anomalies de neurotransmetteurs. Une fragilité constitutionnelle sur laquelle se greffent d’autres facteurs : certains concernant l’enfant (retard de parole, tempérament), d’autres son environnement (événements familiaux, réactions de l’entourage à ses difficultés). Pour ce que l’on sait des liens avec le TDAH, en l’état actuel des données, il est certain que les difficultés attentionnelles, l’hyperactivité mentale et/ou motrice provoquent une surcharge, une fatigabilité et parfois une anxiété qui majorent le bégaiement. L’impulsivité liée au TDAH accentue aussi la rapidité de pensée et de parole, amplifiant les difficultés lorsque l’on begaie.
Comment réagir si mon enfant se met à bégayer ?
Ce n’est pas une urgence, et il n’y a pas lieu de paniquer. Mais dès lors que l’on voit que son enfant force sur sa parole, il est utile d’avoir l’avis d’un professionnel. Un(e) orthophoniste en l’occurrence, qui puisse recevoir-idéalement-les deux parents, avec l’enfant. L’objectif est d’explorer le contexte de survenue et travailler avec la famille sur les façons de réagir et de l’aider dans sa parole : ce sera toujours le cas pour un petit enfant et c’est essentiel pour les conseiller et réajuster les choses. Dans certains cas, le problème peut être résolu en une ou deux séances. Plus on le fait tôt, la plasticité neuronale de l’enfant étant a son maximum avant l’âge de six ans, plus on évite de prendre un mauvais pli. Ce qui ne signifie pas que ce soit fichu après ! La difficulté à l’heure actuelle, c’est le manque criant de professionnels : les parents sont légitimement désespérés de ne pas trouver de rendez-vous avec des orthophonistes. C’est pour pallier ce problème et ne pas les laisser seuls que nous avons conçu l’an dernier un guide pratique avec des fiches de conseil.
Comment aider mon enfant au quotidien ?
Contrairement à cette idée reçue qu’il ne faudrait pas couper la parole à quelqu’un qui bégaie, la préconisation principale est de ne pas le laisser faire d’effort et s’embourber dans la difficulté. Au bout de trois ou quatre butées sur un mot, il faut se glisser dans la parole de l’enfant. Cela ne veut pas dire parler à sa place, mais l’étayer. Concrètement, si on a une petite idée de ce qu’il veut dire, on lui propose un mot, plutôt sur un ton chantant et interrogatif. Si on ne sait pas, on l’aide en lui posant des questions structurantes, des questions fermées : « il s’est passé quelque chose dans la cour ? » S’il ne répond pas, on n’insiste pas.
L’enfant qui bégaie est généralement un grand bavard, il a envie de raconter beaucoup de choses et se retrouve déjà frustré que sa parole n’aille pas aussi vite que ce qu’il voudrait. Lui dire de respirer un grand coup avant de se lancer ne l’aidera pas. Vous pouvez en revanche lui dire, sans juger de sa parole du coup, « oulala, là ça va trop vite pour moi ». Et l’aider à ralentir son débit, en ralentissant le vôtre, en lui parlant à sa hauteur, pour permettre l’échange de regards.
Propos recueillis par Claudine Proust