« Chez nous la dyslexie c’est une affaire de famille », sourit Yann Chable. Contrôleur de gestion pour le groupe Carrefour depuis plus de 25 ans, Yann a été diagnostiqué dyslexique et dysorthographique lorsqu’il était enfant, diagnostic qui a aussitôt éclairé les difficultés de lecture de son propre père et qui, sans surprise, s’est ensuite répercuté sur deux de ses trois enfants.
« Comme beaucoup d’autres personnes, j’ai caché ma dyslexie et ma dysorthographie en 1997, lors de mon entretien d’embauche, par peur des discriminations. A l’époque, l’écrit était très peu présent dans mon travail qui est celui des chiffres, donc je suis passé sous les radars. Ce n’est que plus tard avec les messageries et les mails que les choses se sont corsées ! De plus en plus, je dois communiquer par écrit avec des services internes mais aussi externes. Alors je me suis adapté, je n’envoie jamais de mail officiel le soir, par exemple, car l’écrit me demande beaucoup de concentration et je préfère rédiger le matin, quand je suis frais ! Le correcteur orthographique est devenu mon meilleur ami et mes collègues me relisent si besoin ».
Dans le cadre des missions handicaps de l’entreprise, Yann rencontre en 2024 le correspondant de sa région et s’ouvre auprès de lui de sa dyslexie et sa dysorthographie ainsi que son engagement comme trésorier auprès de l’APEDYS Basse Normandie (association des parents d’enfants dys). Aussitôt, ce sujet trouve un écho avec les engagements du groupe dans la lutte contre l’illettrisme et le contrôleur de gestion se meut en animateur pour conduire un premier webinaire suivi par une centaine de salariés. Un vrai succès, qui finit de convaincre Carrefour de la nécessité de s’engager plus avant et de créer un programme dédié aux troubles dys.
Ce programme comprend un volet sensibilisation, afin de permettre à ceux qui ont des difficultés de lecture et d’écriture de verbaliser sans se sentir discriminé. Puis à former les managers pour qu’ils soient attentifs aux difficultés de tel ou tel et puissent leur proposer, avec bienveillance, un accompagnement. Enfin, le groupe s’engage à financer 300 bilans orthophoniques gratuits par an. Les outils informatiques ont par ailleurs été réaménagés : claviers spéciaux, police de caractères adaptés, passage facilité de l’écrit à l’oral ou l’inverse. Enfin, les salariés les plus en difficulté sont accompagnés, s’ils le souhaitent, vers une reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH).
Des claviers adaptés aux troubles dys
« Nous travaillons à identifier les collaborateurs concernés par des difficultés de lecture afin de leur proposer un accompagnement personnalisé », précise Florence du Buit, responsable diversité-inclusion du groupe. « Cela nous permet une adaptation des outils informatiques permettant de passer de l’oral à l’écrit et vice versa (Speech to Text & Text to Speech), l’installation d’une une police de caractère adaptée (Opendyslexique sur le pack Office ou Lexend sur la suite Google) afin de faciliter la lecture. Des claviers spécialement adaptés aux troubles dys seront également proposése.
Mais de toutes les actions, celle dont Yann Chable est sans doute le plus fier c’est d’avoir participé à intégrer un livre pour enfant « spécial dys » dans la collection de « 20 livres à 1 € ». Le but de cette collection ? Rendre la lecture accessible à tous grâce une offre d’ouvrages à destination des enfants de 3 à 8 ans, vendus en magasin à 1€.
Cette année la collection intègre, pour la première fois, un ouvrage adapté aux enfants dyslexiques : « Promouvoir la lecture c’est formidable ! Pour ma part, j’ai vraiment commencé à apprécier la lecture à l’âge adulte. Enfant, j’avais un vrai sentiment d’illégitimité ; à l’école, les profs me répétaient que j’étais un fainéant, un cancre, que je n’aurais jamais mon bac. D’ailleurs je n’ose toujours pas, des années après, lire en public ou alors j’apprends mon texte par cœur. C’est toujours un pari pour un parent d’enfant dys que d’acheter un livre, il ne faut pas que le prix soit un frein ».
Céline Lis-Raoux