Se donner rendez-vous dans un bar d’ambiance près de la place de la République à Paris n’était sans doute pas l’idée du siècle. A 10 heures un matin de semaine d’avril, l’heure de pointe passée, on pouvait espérer que ce soit a peu près paisible.
Mais non. Même si les vélos ont pris le pas sur la voiture, impossible de s’entendre en terrasse. Va pour l’intérieur du café lounge, où de larges canapés suggèrent une ambiance cosy. Sauf que le personnel est encore en plein ménage. Entre le vrombissement de l’aspirateur et la musique énergique de la radio, difficile de se concentrer pour mener un entretien.
Un hyperactif distrait par le moindre papillon
Or la concentration, c’est justement le gros point faible d’Hugues Lavigne. Un battement d’aile de papillon suffit à distraire ce grand musclé de 32 ans. Ce papillon, il en a fait le fil rouge de son spectacle humoristique, « Hyperactif » avec lequel il tourne à travers la France depuis deux ans. Il y raconte son parcours, interpellant d’emblée le public : « le TDAH, vous connaissez ? »
S’il rit et fait aujourd’hui rire, avec autodérision de ce trouble déficit de l’attention qu’il connait si bien de l’intérieur, l’humoriste hyperactif ne cache pas qu’il na pas toujours été copain avec lui. « Ce fameux papillon, qui me suit toute ma vie, il m’aide et fait que je suis qui je suis. Mais il n’a pas toujours été un avantage. »
Petit, Hugues était, selon ses propres mots, « infernal à gérer. Pour ma mère ce devait être horrible. J’ai deux frères, mais elle avait un planning rien que pour moi. Pour m’emmener à la gym, au tennis, à la natation, au rugby. Aux entraînements, aux compétitions. Si je ne faisais pas du sport tous les jours, j’étais insupportable tellement je sautais partout. »
L’école a toujours été compliquée
Hors sport, Hugues se souvient de l’école comme d’une traversée du désert pour un élève « nul en à peu près tout ». Aujourd’hui encore il reste fâché avec les chiffres. « Si on me dit 1/2 je comprends, mais 1/3 ? Impossible, je ne visualise pas. L’école a toujours été compliquée pour moi. Il faut dire qu’on a beaucoup bougé : changer d’école régulièrement n’est déjà pas facile pour n’importe quel enfant. Pour moi c’était encore plus dur. » Pour suivre la carrière du papa magistrat, la famille déménage en effet tous les trois ans, de métropole en Outremer et retour, puis aux Pays Bas. « Quand je suis arrivé là bas, en quatrième, au lycée français, j’étais le plus nul de ma classe. Tous les soirs, je rentrais en pleurant. »
Les parents sentent bien depuis un moment que l’enfant « a un problème », mais quoi ? « En 1996, le tdah n’était pas aussi bien connu et se résumait pour beaucoup à un enfant qui court partout » soupire Hugues. Il a perdu le compte du nombre d’orthophonistes, de psychologues, de « milliards de séances de yoga » fréquentés durant son enfance et son adolescence pour n’en garder qu’un souvenir : « à force on finit par se dire, JE suis un problème.»
Canaliser son TDAH dans le sport
Mais il salue le génie de parents, qui l’ont toujours soutenu et ont eu la bonne idée de l’extraire du lycée français, pour l’inscrire au lycée international. « Je suis repassé en cinquième. Mais là, je me suis trouvé avec des enfants qui venaient du monde entier. Avec des cours en anglais. Et ça mon cerveau comprend : je suis bon en langues. En musique aussi, en sports. J’étais enfin bon quelque part ! » Autre avantage de ce lycée des Pays-Bas qui ne suit en rien le carcan scolaire à la Française : les après-midis, le programme est à la carte. Théâtre ou sports en tous genre, selon les envies ou passions de chacun.
Déjà adepte du rugby, le jeune Lavigne s’essaie au foot américain. Au poste de quarterback, en quart-arrière qui dirige l’offensive, il bénéficie de toutes les attentions, « alors qu’à l’école ordinaire, personne ne s’intéressait à moi. »
Retour en France, à 16 ans, à Toulouse, devenue sa ville de coeur. « Je me suis retrouvé au lycée dans une seconde méthodologique. En gros la classe où l’on regroupait tous les bizarres qui ont du mal à suivre. C’était très stigmatisant ! » se souvient il. Et pas très efficace : l’élève Lavigne plafonne à 6/20 de moyenne. Résultat, au bout d’un an les parents s’en vont cette fois taper à la porte d’une école privée de tourisme. En principe elle ne prend que des élèves après bac pour les former en deux ans, à être hôtesses ou Stewart. « Mais vu que j’étais bon en langues, ils m’ont accepté. En même temps, je faisais des stages d’animation pour Nouvelles Frontières (devenu TUI, NDLR). » A 17 ans, c’est une révélation, qui mettra fin à toute velléité de courir après un diplôme : « à la fin ils m’ont embauché. »
De l’animation au goût de la scène
A 18 ans, le voilà donc qui entame une vie nomade. D’hôtels en clubs de vacances, des Caraïbes à la Grèce, en passant par le Sénégal, les Canaries et le Maghreb, il progresse. De simple animateur, il passe chef des animations, puis chef de village. Et s’éclate : « pour la première fois de ma vie, tout se passe bien, on me dit bravo. Et puis le rythme levé tôt-activité physique me convient parfaitement. » En remisant ses valises 8 ans plus tard, c’est décidé : puisque le micro et la scène lui réussissent et qu’il sait fait rire, pourquoi ne pas faire de l’humour son métier et lancer son spectacle ?
Cap sur Paris et sur l’école de l’humour et des arts scéniques dans le XIe arrondissement, pendant deux ans, « pour me faire du réseau. » A la sortie, son spectacle est prêt, mais la période loin d’être idéale : « je me lançais en pleine crise des gilets jaunes, puis du Covid !» Quoique. Le Covid n’a pas eu que du mauvais.
La notoriété en plein confinement
Tout en peaufinant son spectacle, en participant à des scènes ouvertes ou en assurant des premières parties d’autres artistes, il crée et lance ses vidéos humoristiques sur les réseaux sociaux. En plein confinement, l’une d’elles, sur le télétravail, va lui donner accès à la notoriété, avec plus de 25 millions de vues.
Un métier, où je serais cloîtré de 9 à 18 heures derrière un bureau ne me correspondrait pas du tout. Plus je bouge, plus je me sens efficace !
Depuis deux ans maintenant, tout en continuant ses vidéos, il tourne à travers la France avec son spectacle. « Il m’aura fallu cinq ans d’adaptation, à me demander si j’avais fait le bon choix. » Aujourd’hui, il n’en doute pas. Enfin… sauf les jours de blues, où le doute le rattrape, quand une vidéo marche moins bien que les autres, ou pas tout de suite : « le tdah, c’est aussi être soumis à un yoyo d’émotions, entre très haut et très bas » soupire-t-il.
Mais il n’a aucun doute en revanche sur le fait qu’ « un métier, où je serais cloîtré de 9 à 18 heures derrière un bureau ne me correspondrait pas du tout ! Plus je bouge, plus je me sens efficace ! Le tdah a aussi cet avantage : mes journées durent plus longtemps. Grâce à mon énergie débordante, je peux faire énormément de choses en une journée. »
Il y a forcément un domaine, un lieu où l’on est « bon »
Exposer son « papillon » sur scène lui a aussi permis de tisser des liens dans la vaste communauté personnes concernées, directement ou pour un proche. « J’ai encore des parents qui me contactent en commentaires pour me demander comment obtenir un diagnostic. Même si on en parle plus. Quand je commençais mon spectacle en 2019 en demandant qui connait le tdah, peu de mains se levaient. Elles sont beaucoup plus nombreuses aujourd’hui » se réjouit l’humoriste.
Si son spectacle lui permet d’en vivre, il espère aussi qu’il puisse donner une note d’espoir aux gamins qui se débattent à l’école, avec leur papillon tdah. « Moi je n’ai ni le brevet ni le bac. L’école, le collège, le lycée, c’est l’horreur si tu n’es pas « bon » dans les matières scolaires. Mais il y a forcément un domaine, un lieu où l’on est « bon » !
Claudine Proust
*Les 5 novembre et 3 décembre à 21 heures au théâtre du Marais à Paris. wwwtheatredumarais.fr