Qu’est-ce qui a amené votre association à créer la formation CIARA ?
Notre association existe depuis plus de 20 ans. Nous accueillons tous les publics en situation de handicap, qu’il soit ensoriel, cognitif, psychique, mental ou moteur, autour de l’apprentissage des pratiques artistiques : dessin, peinture, modelage, origamis… Il y a cinq ans, lorsque nous nous sommes mis au numérique, nous nous sommes aperçus que de nombreux jeunes au sein de nos ateliers de loisir avaient de réels potentiels créatifs dans ce domaine. Nous les avons donc aiguillés vers des écoles d’art pour qu’ils s’y forment. Seulement, ils en sont tous revenus, car les pédagogies n’y étaient pas adaptées à leurs profils !
C’est ce qui nous a donné envie de lancer notre propre formation professionnelle, en nous appuyant sur notre expérience. Cela fait en effet plusieurs années déjà que nous développons des pédagogies adaptées à l’art et à la création numérique, avec des pas à pas, des fiches rédigées en Facile à lire et à comprendre (FALC), des tutos sous-titrés et de nombreuses modalités d’adaptation des rythmes d’apprentissage. Nous avons commencé par une première phase expérimentale de trois ans, avant d’aboutir aujourd’hui à une formation diplômante de niveau bac + 3, inscrite au répertoire national de la certification professionnelle (RNCP).
Quel est le titre exact de cette formation et à qui s’adresse-t-elle ?
Il s’agit d’un « RNCP Designer concepteur UI » qui s’adresse à tout jeune de plus de 18- ans en situation de handicap-à l’exception des non-voyants, car les logiciels ne sont pas adaptés-. Dans les faits la majorité de nos jeunes (70%) ont un trouble du spectre de l’autisme. La formation que nous proposons leur permet, entre autres, d’apprendre le design graphique, la modélisation 3D, le webdesign et d’accéder ainsi à de nombreux métiers (infographiste, programmateur de jeux vidéo, animateur 2D/3D, illustrateur-dessinateur… ) qui se prêtent facilement à des aménagements ou au télétravail, intéressant pour tous ceux qui peinent avec les habiletés sociale. Côté fonctionnement, nous avons choisi de privilégier le droit commun plutôt que de nous orienter vers les modèles de formations financées par le médico-social, afin de renforcer l’inclusion des personnes dans le monde du travail et leur permettre d’accéder aux mêmes financements que n’importe quelle personne en contrat de professionnalisation.
C’est-à-dire ?
Notre formation dure 3 ans. Elle commence par une première année de remobilisation et de prise en main des différents logiciels. C’est une étape essentielle, car les jeunes que nous formons ont souvent eu un parcours scolaire chaotique, avec des phases de déscolarisation. On ne peut pas les envoyer tout de suite en apprentissage : cela ne marcherait jamais avec les entreprises. On prend donc le temps de les aider à prendre les logiciels en main, mais aussi à les réhabituer à se lever le matin, et à avoir une attitude professionnelle. Ils passent ensuite en contrat d’apprentissage au sein d’une entreprise et deviennent salariés. Ils alternent alors entre journées de formation dans nos locaux et journées de travail dans l’entreprise.
Combien de jeunes formez-vous par an et pour quels débouchés ?
Nous avons fait le choix de petites promotions de 15 personnes, pour pouvoir maintenir notre qualité d’accompagnement pendant toute la durée de formation. Car même si on constate une évolution, avec une vraie volonté des entreprises de prendre nos jeunes en contrat d’apprentissage, le plein emploi derrière n’existe pas encore.
nos jeunes sont bons, et le fait de passer par un stage aide les entreprises à se rendre compte qu’ils sont parfaitement intégrables.
Nous accompagnons donc énormément nos apprentis dans les entreprises, afin « d’évangéliser » ces dernières et leur faire comprendre tout ce que ces jeunes sont capables de faire. Nous essayons aussi de nouer des partenariats : nous voyons bien que nos jeunes sont bons, et le fait de passer par un stage aide les entreprises à se rendre compte qu’ils sont parfaitement intégrables. Nous pouvons ainsi également leur donner des conseils pour que cela se passe au mieux avec chacun de nos étudiants. Actuellement, Adam, une jeune autiste, est ainsi en contrat-pro dans une agence de design, qui compte l’embaucher. Tous n’ont pas la chance d’être embauchés au terme de leur contrat. C’est pour cette raison que nous avons également monté une entreprise adaptée, il y a un an. Le but : permettre à nos jeunes fraîchement diplômés de commencer à travailler. Et pouvoir le faire valoir sur leur CV.
Propos recueillis par Véronique Bury