Vous débutez votre livre par un petit chapitre consacré à l’histoire du TDAH, pour souligner que cela n’a rien d’un « invention » récente. C’est important ?
Oui, c’est important de le rappeler. Il est toujours tentant de penser qu’on a inventé une maladie sous prétexte qu’il existe un traitement. Or les enfants avec un TDAH ont toujours existé, probablement depuis l’antiquité.
Les premières observations cliniques sont apparues à la fin du XVIIIe siècle quand l’intérêt pour l’enfant et la pédagogie ont commencé à se développer. Elles décrivent des enfants et des adultes avec une instabilité motrices et sont très centrées sur l’agitation, qui n’est que la partie visible du TDAH. On sait aujourd’hui que certaines personnes ne manifestent pas d’hyperactivité.
Alors quand doit-on se poser la question : et si c’était un TDAH ?
Le signe principal, c’est le trouble de l’attention. Il se traduit par l’impossibilité ou la difficulté à se concentrer-et le rester- sur une information, un objectif ou une action simple. Ce n’est pas par manque d’intelligence, ni mauvaise volonté, mais lié liée à des capacités de concentration plus faibles : elles cèdent à la moindre distraction (visuelle ou sonore). Ce n’est pas toujours facile à observer, mais peut se traduire par l’impression d’avoir le cerveau en ébullition permanente. C’est accessoirement épuisant.
L’impulsivité-le manque d’inhibition liée à un défaut d’autocontrôle de ses actions et réactions- est l’autre signe majeur du TDAH. L’hyperactivité est le troisième signe. C’est celui qui amène le plus souvent en consultation, parce que c’est le plus visible et le plus bruyant. Souvent présente, mais non nécessaire pour le diagnostic, l’hyperactivité n’est pas seulement motrice. Elle peut aussi être psychique. On observe également une faible estime de soi : 50 % des enfants avec un TDAH ont une forme de dépression.
La question du diagnostic doit se poser dès lors que l’enfant et la famille souffrent du retentissement de ces symptômes (mauvais résultats et incompréhension à l’école, impossibilité d’assister aux réunions de famille) et que des conseils simples pour adapter les méthodes éducatives (organisation du temps de l’enfant avec fractionnement des taches à accomplir, valorisation, etc) ne fonctionnent pas.
Y a t il plus de personnes avec TDAH qu’autrefois ?
Probablement pas. Tant que les enfants travaillaient, aux champs ou ailleurs, et cela a longtemps été le cas, ils étaient concentrés sur une tâche particulière : on sait qu’un enfant TDAH est parfaitement capable de le faire.
On y est devenu plus attentif, à mesure que l’on a mieux compris ce qu’était ce trouble
Mais à partir du moment où ils se retrouvent à l’école, dans un environnement de règles et de contraintes, et dans des classes où les éléments distracteurs sont nombreux, cela devient plus compliqué. On a ainsi vu apparaître et ce que l’on a appelé des distraits, des étourdis, ou désobéissants…Il n’y a donc sans doute pas plus d’enfants TDAH aujourd’hui qu’autrefois. Simplement, on y est devenu plus attentif, à mesure que l’on a mieux compris ce qu’était ce trouble.
Certains parents s’entendent pourtant encore dire parfois -y compris dans des centres médico psychologiques- que le TDAH n’existe pas. Comment l’expliquez-vous : est ce lié à un problème de formation médicale ?
Sans doute et à plusieurs niveaux. Il faut d’abord rappeler que la psychiatrie des enfants et des adolescents est une discipline encore jeune. Elle n’existait pas avant la seconde guerre mondiale. Les enfants étaient en gros classés en deux catégories : ceux qui allaient bien et les autres, globalement considérés comme « idiots ». Et puis on s’est progressivement aperçu que certains de ceux-là avaient des troubles- dyslexie, autisme, dépression, tdah- que l’on pouvait prendre en charge.
Jusque dans les années 1950 à 1970 et jusqu’au début des années 1980, la compréhension des mécanismes en jeu dans ces troubles est restée relativement faible. On cherchait des explications. Parce que l’on avait constaté pendant la guerre que les enfants accueillis dans des orphelinats et dont on ne s’occupait pas ne se développaient pas bien, on a cru la trouver : l’absence ou la pauvreté d’interactions sociales avec l’entourage chargé d’élever l’enfant. Cette théorie très marquée, très exclusive est longtemps restée en vogue…
D’où cette idée persistante que ce serait la « faute » des parents ?
A mesure que l’on a mieux compris les mécanismes psycho-pathologiques et cognitifs des TND, on a compris que leur cause principale pas un environnement parental défaillant. Si des réticences à l’admettre demeurent chez un certain nombre de praticiens, c’est parce qu’ils n’ont pas actualisé leur manière de voir.
Ajoutez y qu’il n’est pas toujours évident de faire la part de ce qui est environnemental et ce qui ne l’est pas, face à des parents désemparés par le comportement de leur enfant. Sont-ils perdus parce qu’ils ne savent pas être parent, ou parce que leur enfant à des difficultés qui nécessitent d’adapter les méthodes éducatives : la distinction n’est pas toujours simple. Le diagnostic de TDAH n’est pas facile.
Pourquoi ?
La difficulté, c’est qu’il n’existe pas de test simple, d’examen biologique ou d’imagerie cérébrale qui permette d’objectiver un TDAH. On peut toujours s’auto-dépister en se reconnaissant dans certains signes que l’on partage tous un peu. Mais il y a tellement de subtilités à prendre en compte, qu’on ne peut pas diagnostiquer un TDAH avec un test en ligne en trois questions.
La HAS ne préconise pas les tests neuropsychologiques systématiques.
Souvent aussi, des parents viennent nous voir avec des bilans, réalisés sur la base de tests neuropsychologues, qui leur ont coûté plusieurs centaines d’euros. Les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), en accord avec les conférences scientifiques internationales ne préconisent pas ces bilans systématiques. Ces tests peuvent donner des arguments dans certains cas compliqués. Ils peuvent être utiles pour adapter la prise en charge en cours de route, mais ils ne sont pas indispensables car ils ne permettent pas de poser le diagnostic.
Le diagnostic de TDAH ne peut donc être balayé d’un revers de main, ni posé d’un claquement de doigts. Comment doit-il se dérouler ?
Ce diagnostic ne peut être QUE clinique et portée par un professionnel. La psychiatrie est une discipline 100 % clinique, portée par des médecins qui ont fait onze ans d’études. On peut supposer qu’au terme de ces onze ans, ils aient suffisamment de connaissances cliniques pour le faire en s’appuyant sur les observations de ceux qui connaissent le mieux l’enfant : ceux qui l’élèvent à la maison et les professionnels (éducateurs, enseignants, etc) qui le voie au quotidien. Concrètement, le diagnostic s’appuie sur un triple entretien : d’abord avec les parents et l’enfant ; puis avec l’enfant seul, qui ne raconte pas forcément les choses de la même façon ; et enfin à nouveau à trois, pour donner des pistes d’adaptation.
Il faut surtout évaluer la sévérité et le retentissement quotidien des symptômes.
Déficit attentionnel, distractibilité, difficulté à réguler ses émotions, hyperactivité-physique ou mentale : les symptômes du TDAH sont relativement simples. Mais il faut retracer leur apparition, leur évolution. Et surtout, évaluer leur sévérité et leur retentissement quotidien. Il faut aussi pouvoir les différencier, car ils peuvent être associés à d’autres troubles : une anxiété, des troubles du sommeil, des troubles spécifiques des apprentissages, ou d’autres TND et certains peuvent se manifester par des symptômes qui ressemblent à ceux du TDAH.
Propos recueillis par Claudine Proust
Un diagnostic et après ?
Le diagnostic officiel d’un TDAH effectué par un professionnel est bien plus qu’une étiquette, rappelle le Pr Olivier Bonnot.
D’abord, « il permet de se connaître soi-même : de comprendre comment cela se fait que je n’arrive pas à rester concentré pour lire ne serait ce qu’une page de livre ou aller jusqu’au bout d’un énoncé. L’explication de ses difficultés ne change pas tout, mais permet à l’enfant, qui en a conscience, de mieux pouvoir le résoudre. »
Le diagnostic est aussi important pour l’entourage, proche, plus éloigné et scolaire. « La première action à mener est de regarder l’enfant sous un prisme différent » conseille le Pr Bonnot : non, l’enfant ne fait pas exprès d’être« pénible ». Il est le premier à souffrir de ses incapacités et de cette image qui lui est sans cesse renvoyée, attaquant profondément son estime de soi.
Enfin et surtout, identifier le trouble à l’origine de ses difficultés permet de mettre en place les réponses nécessaires pour qu’il puisse gagner en autonomie et en confiance : un cadre éducatif sécurisant et adapté, avec des routines (et des interdits), les bonnes consignes, des « missions » pour le valoriser et des outils pour lui apprendre à identifier et gérer ses émotions.