Vous n’avez jamais évoqué votre TDAH auparavant, qu’est-ce qui vous motive à le faire aujourd’hui ?
Olivier Véran. Je trouve qu’avec Zèbres, vous éclairez des familles qui se questionnent, abordez avec justesse pour le rendre accessible à tous l’univers complexe des troubles neurodéveloppementaux. Je n’ai pas vocation à être représentatif de qui que ce soit en la matière, mais si ma propre expérience peut aider à mieux comprendre et rassurer, je me prête volontiers à l’exercice. Par ailleurs, je n’ai appris ou compris que j’avais un TDAH que très récemment. Un comble pour un neurologue me direz-vous, mais comme on dit en médecine, les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés !
Comment avez-vous été diagnostiqué de votre TDAH ?
O.V. En quittant la politique, j’espérais que mon sommeil perdu depuis des années reviendrait, mais hélas non. Je suis ce qu’on appelle un « petit dormeur ». Si je m’endors très facilement, je me réveille, toutes les nuits, au bout de 5H30 : Semaine, week-end, stress ou pas stress. Comme si mon cerveau était allumé en un éclair et se mettait à tourbillonner dans tous les sens. Je fais le point sur les mille choses que j’aimerais faire, les idées se pressent dans mon esprit… et ma nuit est finie ! Dormir c’est mourir ! Quand le cerveau est réveillé plus possible de le mettre en pause. Sauf, qu’avec l’âge, si notre cerveau nous affirme que 5H de sommeil c’est bien assez, notre corps, qui n’a pas suffisamment récupéré, nous crie le contraire… Bref, toujours est-il que j’ai fini par consulter un médecin du sommeil qui s’est demandé pourquoi je me posais la question puisqu’à l’évidence j’étais hyperactif !
Vous ne vous étiez jamais rendu compte de cela auparavant ? Comment avez-vous pris la nouvelle ?
O.V. J’ai cherché les indices qui m’auraient jusqu’ici échappé. Et si les difficultés à me concentrer au collège, c’était un TDAH ? J’étais ce gamin dans une chorale qui remue tout le temps sur place, celui à qui on disait « arrête de bouger, tu me donnes le tournis ». Plus tard, étudiant, on m’a donné des surnoms évoquant une énergie parfois difficile à canaliser. Et puis ce besoin de toujours faire deux choses à la fois, comme travailler des cours sur un vélo d’appartement… Bref, en y repensant, pourquoi pas. J’ai tout de même voulu en avoir le cœur net, et c’est après un autre avis d’expertise que je me suis rendu à l’évidence. Alors ce n’est pas un TDAH sévère, j’ai pu traverser des décennies sans ressentir de souffrance particulière, et je ne dirais pas que ce diagnostic me caractérise, mais il apporte des réponses. Et peut-être-je l’espère- une solution à ces nuits trop courtes, puisque j’ai commencé à l’essai un traitement par méthylphénidate.
Et comment vivez-vous ce traitement ?
O.V. Un peu tôt pour le dire, on verra dans quelques mois. Je ne vois pas de gros changement pour être honnête, mais mon entourage me trouve plus calme, plus posé, moins impulsif. J’ai peut-être gagné une heure de sommeil. Je sais que le débat en France est vif autour de la ritaline. Il faut savoir que dans notre pays, la prescription est hyper encadrée, réservée aux spécialistes (neurologues, psychiatres ou pédiatres) et que le diagnostic de TDAH lui-même répond à des critères très précis. On ne prescrit pas de la ritaline pour « calmer les enfants agités », comme on peut l’entendre ici ou là. Il y a tant de jeunes dont cette molécule a amélioré la qualité de vie, en les aidant à se concentrer, se canaliser, nouer des rapports sociaux… Alors oui, les prescriptions de méthylphénidate augmentent, mais c’est aussi parce que, heureusement, on diagnostique de mieux en mieux et qu’on ne laisse plus autant de gamins en souffrance.
Cette hyperactivité ne vous a pas empêché de faire des études supérieures, d’être médecin, député, ministre…
O.V. Comme beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération, les diagnostics étaient quasi-inexistants dans les années 80, et j’ai appris « à vivre avec ». Mais il faut aussi le répéter aux familles : leur enfant ne se résume pas à un diagnostic. Il ne faut rien leur interdire, ni les limiter dans leurs ambitions. Le TDAH ne m’a pas empêché de suivre des études de médecine, peut-être même est-ce lui qui m’a permis de cumuler mes études avec un travail de nuit éprouvant comme aide-soignant en EHPAD (maison de retraite médicalisée, NDLR). J’ai aussi trouvé intuitivement des stratégies d’auto-régulation. Depuis mon enfance, j’écoute de la musique plusieurs heures par jour : cela m’apaise et m’aide vraiment à me concentrer. Je fais pas mal de sport, environ six ou sept heures par semaine. De la boxe thaïe, qui canalise mon énergie, mais aussi de la musculation. Et à certains moments de stress, il m’est arrivé de me lancer dans des activités assez improbables comme des puzzles, ou même du tricot. Il parait qu’on appelle ça le yoga des mains. En revanche, j’ai tenté l’expérience de me plonger une heure dans un caisson d’isolation sensorielle dans le noir, sans distraction : l’enfer pour moi (rires) !
Comment avez-vous géré votre hyperactivité en tant que ministre ?
O.V. Quand je suis arrivé au ministère de la Santé, dès la première réunion de cabinet, j’ai coupé court au bout de 25 minutes, en disant : « merci beaucoup, on va passer au dossier suivant !» Devant les regards étonnés, j’ai expliqué que les réunions de deux heures, ce n’était pas mon truc. J’aime quand on va droit au but. Le temps est trop précieux. Finalement on a, je crois, gagné en efficacité. Churchill demandait à son équipe de rester debout durant les réunions : il savait qu’ainsi tout le monde allait droit au but, sans tergiversations. Je pense que c’est typiquement ce qu’une personne avec TDAH peut faire quand il est poste de responsabilité (rire) !
Durant la crise Covid, on avait l’impression que vous ne cessiez jamais d’être en mouvement…
O.V. Quand vous gérez une telle crise, vous devez travailler tout le temps, dormir très peu, être toujours en mouvement, alterner les séquences courtes et déterminantes… Je suis convaincu que mon hyperactivité a été un atout dans la gestion de la crise covid, en me permettant d’être tout le temps sur le pont, efficace, ne jamais manquer d’énergie. A l’époque, je dormais vraiment très, très peu. Sans week-end, vacances ni récupération. Souvent, on me demandait d’où venait cette énergie. La même phrase revenait en boucle : « Mais qu’est-ce que tu prends ?» Je ne prends rien, chez moi, l’énergie c’est naturel. Quand on apprend à apprivoiser son hyperactivité, cela devient une force. Je m’épanouis dans un environnement d’urgence. L’ennui est mon pire ennemi.
Devenu porte-parole du gouvernement, le type d’urgence n’était pas le même. Mais mes conseillers pouvaient m’envoyer, à minuit, 80 pages de document d’actualité à lire/digérer avant de dormir, pour que je puisse répondre aux questions d’une matinale radio, le lendemain à 7H du matin. Aller vite ? C’est OK.
Mais regrettez-vous d’être allé, parfois, trop vite ?
O.V. Ah, la fameuse impulsivité qui peut accompagner le TDAH ! Je pense que l’expression « tourner 7 fois sa langue dans sa bouche » a été inventée pour nous, et en même temps, c’est un petit supplice. Mais comme tout le reste, on apprend à la gérer, cette impulsivité. C’est évidemment plus simple quand on est adulte. Mais, dans certaines situations de fatigue, même adulte, on peut être désinhibé, dire des choses plus vite même qu’on ne les pense…et le regretter ensuite. Comme quand, en 2020, je lance aux députés, dans l’hémicycle « sortez d’ici !» On est en pleine deuxième vague de COVID, j’ai passé l’après-midi à l’hôpital à voir des gens sous respirateur – et le soir l’opposition applaudit à la réouverture des discothèques. Je leur raconte ce que j’ai vu, des jeunes entre la vie et la mort, des services de réanimation où l’on ne sait plus où mettre les malades et un député ironise : « Il veut nous faire pleurer. » Alors là, oui, je suis sorti de mes gonds. A un moment tous les mécanismes de contrôle de l’impulsivité, construits au fil des ans, peuvent lâcher.
Vous avez quitté la vie politique, comment se passe votre nouvelle vie ?
O.V. Dans ma nouvelle vie, je m’éclate ! J’ai le sentiment d’avoir récupéré de l’énergie, de l’élan vital. J’accompagne les entreprises qui font de l’innovation en santé. Je parcours le monde, je rencontre des personnes différentes chaque jour : parfois c’est une start up qui me présente un projet de nouveau médicament, le lendemain une équipe de chercheurs en IA… Les sujets sont multiples et c’est passionnant d’embrasser autant de champs à la fois. Je dois faire des choix, je ne peux pas tout suivre et c’est très dur de renoncer. J’ai envie de tout explorer. Monter un fonds, faire des conférences, j’ai toujours faim… Je nourris la bête. Tout en instaurant un régime plus sain…
Propos recueillis par Céline Lis-Raoux