Lorsque Raphaël a décroché son bac général l’été dernier à 19 ans, puis le sésame pour intégrer une école de commerce à Lille, Marina a poussé un soupir de soulagement. « Je m’étais toujours dit qu’il n’y arriverait jamais, tellement l’école était une purge pour lui, avec son trouble déficit de l’attention (TDAH) marqué par une impulsivité incontrôlable ! »
Deux frères, deux TDAH
En quittant le nid familial dans la foulée, le dernier-né de la fratrie appuyait sur la touche « pause », d’un marathon éreintant de près de 24 ans, commencé avec son grand frère Arthur, lui aussi diagnostiqué TDAH. « Ils ont de bons côtés mes garçons : ils sont rigolos, inventifs. Et bien sûr on a aussi eu de bons moments. Mais quand je regarde en arrière, j’ai encore du mal aujourd’hui à me souvenir d’autre chose que de la fatigue, variable selon leur âge, mais ininterrompue : un épuisement ! »
L’hyperactif tête en l’air
« Arthur, l’aîné, était un gamin un peu précoce. A 2 ans, il parlait déjà avec un vocabulaire hyper-riche. Et beaucoup : une logorrhée permanente. Tout allait très vite dans sa tête. Il était très vif, bougeait tout le temps. A cet âge, comme il était intéressant, ça paraissait plus amusant que fatigant.
Les choses ont commencé à se compliquer un peu à l’entrée en maternelle, car Arthur ne dormait pas. A 23 heures il était encore comme une pile électrique, capable de sauter partout. On mettait 1 h 30 à l’endormir, en lui racontant des histoires, en chantant des chansons. Tous les soirs, c’est un peu dur, quand après ta journée de travail tu aurais aussi envie de te poser, entre adultes. En petite section, on a carrément dû interdire à l’école de lui faire faire la sieste. Pour le reste, la maternelle n’a pas posé de gros souci. Il n’aimait pas dessiner ou écrire, mais il adorait les poésies et les apprenait facilement »
Et l’impulsif colérique
« Pour Raphaël, né 5 ans plus tard, le TDAH s’est manifesté différemment. A dix mois, cet enfant qui était un vrai soleil a commencé à nous faire vivre l’enfer sur terre. Hyper anxieux, il ne maîtrisait pas ses colères : incapable de gérer la frustration. Or tout, le moindre non, mettre ses chaussures ou un manteau pouvait être source de frustration ! L’entrée à l’école, dès la maternelle s’est révélée très compliquée. Tous les matins, c’était un drame. Tous les matins, il fallait instaurer des rites. C’est là que ça a commencé à devenir fatigant, parce qu’il fallait aussi commencer à gérer les difficultés croissantes d’Arthur, entré en primaire.»
L’école : une adaptation difficile
« Le problème principal d’Arthur, c’est l’attention. Il est incapable de se souvenir, même de ce qu’il a promis de faire. Il ne fait pas exprès : son esprit passe trop vite à autre chose. Le moindre bruit le distrait : si une mouche passe, c’est forcément elle qui gagne ! Rester assis en classe ? Impossible. Comme il ne peut pas s’empêcher de parler, on l’a vite catalogué comme insolent. La première fois qu’on te convoque pour te dire qu’il met le bazar en classe, tu te dis, c’est parce qu’il s’ennuie. Seulement les convocations, c’est tous les 4 matins, parce qu’il se lève tout le temps ou bouscule un camarade. Quand un stylo vole à travers la classe, c’est toujours le sien. Ton enfant TDAH est aussi incapable de faire son cartable, de noter les devoirs à faire…
Le calvaire des devoirs
Les gamins TDAH se contiennent toute la journée pour se conformer aux attentes de l’école. Ils ne sont pas idiots, ils savent bien qu’il y a des codes. Mais ils doivent se le rappeler à chaque instant et ça leur demande un effort monstrueux.
« Chaque fois que tu es convoquée, tu temporises. Mais à partir de l’entrée à l’école, en fait, tu commences à t’en prendre plein la figure en permanence. Tu as deux enfants qui ne dorment pas. Avec lesquels tu es obligée de te battre pour tout. Tout le temps. Pour les habiller. Pour les devoirs, parce qu’ils sont incapables de les faire seuls.
Tous les soirs quand ils rentraient de l’école, j’avais la boule à l’estomac. Je me demandais comment ça allait se passer : soirée cata ou pas ? Et quasi tous les soirs c’était la cata. Ce qui devrait prendre 10 minutes prend 1 h 30, avec un cahier qui vole au bout de 20 minutes et des cris. Un jour je les ai filmés pour leur montrer dans quel état ils se mettaient.
C’est compréhensible : les gamins TDAH se contiennent toute la journée pour se conformer aux attentes de l’école. Ils ne sont pas idiots, ils savent bien qu’il y a des codes. Mais ils doivent se le rappeler à chaque instant et ça leur demande un effort monstrueux. Il ont le sentiment d’en faire, mais comme ils n’arrivent pas à le maintenir dans la durée, ce n’est jamais payant. Quelle que soit la quantité d’effort qu’ils fournissent, ils se feront toujours attraper pour le quart d’heure où ils se seront relâchés. Le soir, alors qu’ils sont fatigués, tu leur redemandes de travailler…Et malheureusement, comprendre le problème n’est pas le résoudre.
Une maman en burn out
« Quand Arthur a eu 8-9 ans, j’ai craqué. Directrice conseil dans une agence de relation publique, je n’arrivais plus à tout gérer de front. J’avais l’impression d’être une mauvaise mère, une mauvaise épouse, parce que j’étais tout le temps en colère. J’avais tellement l’impression d’être dans un tunnel de tension permanente, qu’au travail j’étais littéralement devenue incapable d’additionner 1+1. J’en étais à avoir besoin d’un verre d’alcool tous les soirs à 19 heures pour décompresser. Et arrivée à ce point qu’un soir, en rentrant en voiture, l’idée de rentrer dans un arbre m’a brièvement traversé l’esprit. Pour que ça s’arrête. Dans un sursaut, je me suis dit, non : stop ! J’ai quitté mon entreprise pour travailler à mon compte et pouvoir mieux tout concilier.
Du diagnostic au traitement
«Mon mari, comme beaucoup d’hommes sans doute, était moins à l’affût des symptômes des garçons. Il rentrait plus tard aussi, ne voyait pas les conflits arriver, comme moi. Lui qui est toujours bien dans sa tête, ne comprenait pas que les enfants souffraient. Il ne voulait pas entendre parler de TDAH, de traitement. Mais quand Arthur est entré en sixième, j’ai passé outre : j’ai pris le taureau par les cornes et décidé de le faire diagnostiquer. Raphaël aussi, par la même occasion. Il a été mis sous traitement dès le CE2 : je ne voulais pas revivre le même scénario qu’avec son frère.
Le parcours médical est compliqué pour la prise en charge du TDAH. Il faut trouver un rendez vous-avec six mois un an de délai-avec un psychiatre hospitalier, seul autorisé à prescrire de la Ritaline une fois par an, l’ergothérapeute, le psychologue…Puis négocier les aménagements avec les établissements scolaires. Arthur n’en a jamais voulu parce qu’il ne voulait pas se distinguer des autres. Pour Raphaël, je le lui ai imposé : le tiers temps n’a heureusement pas été trop difficile à obtenir dans son établissement.
Des profs par toujours compréhensifs
Tout te renvoie, tout le temps, au fait que ton gamin n’est pas dans la norme. C’est moralement épuisant.
« Tu sais que tes enfants ont de bonnes capacités intellectuelles, mais tu découvres vite que l’année scolaire sera bonne ou catastrophique, selon que l’enseignant comprend qu’il est face à un enfant particulier ou qu’il exige de façon rigide de se plier aux attentes de l’institution scolaire. Tu te retrouves alors non seulement à gérer un gamin dont tu essaie de comprendre le problème, mais aussi des enseignants toujours dans le négatif.
Je comprends parfaitement que ce soit compliqué de gérer 30 élèves, mais certains professeurs ne font pas d’effort. Même quand tes enfants sont enfin diagnostiqués TDAH, même quand ils bénéficient comme Raphaël, d’un contrat d’éducation, certains persistent à écrire sur le bulletin trimestriel : « élève inattentif en classe ». Comme si l’on disait à diabétique « ne maîtrise pas assez sa glycémie » ou à un non voyant « ne regarde pas assez le tableau » ! A un moment, j’ai arrêté d’aller aux réunions parents-profs. Tout te renvoie, tout le temps, au fait que ton gamin n’est pas dans la norme. C’est moralement épuisant.
« ca n’arrête jamais ! »
« En grandissant, ça s’améliore un peu. Mais ça n’arrête jamais. Un problème succéde à l’autre. Le traitement, qu’ils prenaient la semaine, leur permet de dormir, de rester concentrés sur ce qu’ils font la journée. Ça les remet dans un cercle vertueux. Mais en fin de journée, les effets s’estompent et tu les retrouve « brut ». Et ils ont toujours-aujourd’hui encore-des problèmes pour s’organiser.
Tu ne comptes plus des livres, gilets, affaires de sport égarés, qu’il faut racheter en permanence. J’ai dû faire le cartable de Raphael jusqu’en 4e. Le jour où tu ne le fais pas, tu est sûre de recevoir un mot le soir. Quant au carnet de correspondance d’Arthur, il se remplissait si vite de « n’a pas fait ses devoirs », « a oublié son cahier », « insolence », qu’il fallait régulièrement le changer en milieu d’année. A 15 ans, tes enfants ne se roulent plus par terre dans les magasins. Mais la gestion des coups de colères et des coups de mous n’en devient pas plus facile.
Addictions et rébellion
« Avec l’adolescence, il a fallu en plus gérer le problème des addictions. Tous les deux ont plongé dans le shit. Raphaël ne pouvait pas aller à l’école sans avoir fumé un joint. Arthur était en plus devenu addict aux jeux en ligne : il ne faisait plus que ça et en a redoublé sa première.
La notion de distance à l’adulte est un peu compliquée à comprendre pour eux, ils sont persuadés d’être adultes pour tout, capables de remettre les règles qui ne leur conviennent pas en cause, parce qu’ils les trouvent injustes. Résultat : ils ont tous les deux failli se faire virer plus d’une fois pendant leur scolarité. Raphaël, qui est toujours en colère, tout le temps, pour tout, y est finalement parvenu, deux mois avant de passer le bac ! Il a réussi à s’engueuler avec le directeur du lycée : il le menaçait de porter plainte pour harcèlement, alors qu’il s’était fait surprendre en train de fumer dans le parc…
Parents sans répit
Pendant toutes ces années, nous n’avons jamais eu de soupape pour souffler. Jamais ne serait-ce qu’une semaine de répit sans les garçons : personne parmi les grands parents, oncles ou tantes n’a jamais pris mes enfants en vacances. Parce qu’ils n’arrêtent jamais, parlent fort et tout le temps, se battent à table et que c’est toujours eux qui transforment un déjeuner en catastrophe…tes enfants TDAH passent pour mal élevés. Y compris auprès de ta famille, qui les juge à l’aune des cousines modèles. Ça aussi c’est fatigant : ce sentiment, commun à tous les parents de TDAH que je connais, que ton enfant ne correspond pas à ce que la société attend d’eux. Alors que tu sais que ce n’est pas de leur faute, que tu vois qu’ils souffrent, tu te sens coupable et ça ne résout rien.
Propos recueillis par Claudine Proust