Juliette Speranza : "La neurodiversité est une cause politique " - Zèbres & cie
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Juliette Speranza : « La neurodiversité est une cause politique « 

Pour la philosophe, fondatrice de la Neurodiversité-France, le concept de neurodiversité, qui renvoie à la diversité des profils neurologiques humains, ou plus simplement à la diversité des intelligences, désigne aussi bien une nouvelle anthropologie qu’un réel mouvement social, indispensable au débat démocratique. 

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    En 1998, le journaliste Steve Silberman décrit dans Wired magazine le concept de neurodiversité comme le « cri de ralliement du premier mouvement à prendre son envol au XXIème siècle ». Depuis, la diversité cognitive s’est progressivement imposée comme une caractéristique humaine incontournable du débat social, en particulier anglo-saxon. Qu’elles soient décalées, légèrement dyslexiques, ou autistes non verbales, les personnalités atypiques sont bien souvent atteintes dans leurs droits et leur dignité. C’est contre cette  ségrégation cognitive et contre les discriminations du quotidien que l’auto-représentation des personnes aux profils neurologiques « hors normes » s’est organisée.

    La méconnaissance de la neurodiversité produit en effet des iniquités tout aussi puissantes que celles que subissent les minorités identifiées comme telles : femmes, ethnies, queer… Et pourtant, l’opinion tolère aujourd’hui que des sujets de droits soient privés de scolarité, de vie sociale, de soin, d’une orientation professionnelle choisie, de considération sociale. Elle les supporte, parce que jusqu’à présent, elle ne les voyait pas.

    Les discriminations ne perturbent que ceux qui les vivent ou, à la rigueur, ceux qui les frôlent. Aussi ces luttes peuvent-elles paraître incompréhensibles, voire superficielles aux non-concernés. C’est pourtant bien sur la souffrance et l’exclusion que cette nouvelle minorité s’est identifiée comme telle. L’émergence des nouvelles technologies a permis à toute une communauté, autiste dans un premier temps, puis « neurodiverse », de se constituer en mouvement d’autoreprésentation : seuls les concernés sont en mesure de décrire l’oppression qu’ils subissent et d’identifier leurs besoins prioritaires. Dans la lignée des Disability Studies, ces mouvements oeuvrent à déconstruire les mécanismes de domination que subissent ceux dont le comportement, les réactions, la sensibilité, ou la manière de fonctionner diffèrent trop de la norme.

    Valoriser les capacités singulières

    Ceux qui s’en sortent sont considérés comme des héros qui ont réussi à surmonter leurs propres faiblesses. En réalité, ce sont les barrières sociales qu’ils ont réussi à dépasser

    Il est évident que les personnes neuro-atypiques sont déficitaires dans certains domaines, dans certaines situations-au même titre que les neuro-typiques d’ailleurs-. Avoir des difficultés à déchiffrer, à se concentrer, ne pas supporter le bruit ou manquer de flexibilité mentale, par exemple, sont des spécificités pénalisantes. Nous pouvons cependant déplorer que les capacités singulières ne soient pas valorisées, et que, malgré nos connaissances, nous ne travaillions pas davantage à assouplir l’environnement, l’école, le travail, les espaces publics, afin qu’elles puissent émerger. Ceux qui s’en sortent sont considérés comme des héros qui ont réussi à surmonter leurs propres faiblesses. En réalité, ce sont les barrières sociales qu’ils ont réussi à dépasser. Loin de nier les difficultés des uns et des autres, l’anthropologie de la neurodiversité nous invite à regarder leurs talents, indispensables à la complémentarité humaine. Alors, comme le suggère Judy Singer, « pourquoi ne pas proposer que, tout comme la biodiversité est essentielle à la stabilité des écosystèmes, la neurodiversité peut être essentielle à la stabilité culturelle  » ? Dire que la « neurodiversité est une richesse » n’est pas une formule niaise et convenue. De Démocrite à Greta Thunberg, les êtres « étranges » ont une lecture du monde, des expériences vécues différentes, parce qu’ils ont développé des stratégies adaptatives liées à leur profil : ils sont une ressource précieuse pour le patrimoine humain.

    Un concept de luxe ?

    Dans un monde où la violence éclate chaque jour avec plus d’intensité, où la misère étend son manteau sur des vies résignées, ce besoin de considération pourrait être perçu comme la lubie de quelques illuminés, ou comme une nouvelle forme de l’hydre woke. En réalité, les personnes neuroatypiques, comme toute la communauté des personnes en situation de handicap, sont en première ligne des tragédies sociales : disparitions, abus sexuels, suicide, vies précaires… Victimes de discriminations qui commencent souvent dès la scolarisation.

    Les personnes concernées par des « troubles dys » souffrent encore de discrimination à l’école, notamment au moment des examens : une situation qui a été, entre autres, dénoncée par la défenseure des droits Claire Hédon. Elles ne sont pas, loin s’en faut, les seules victimes de la culture scolaire : récemment, 80% des enfants TDAH interrogées par une association se déclaraient en souffrance à l’école. Si très peu de données ont été publiées à ce jour concernant le lien entre neurodiversité et sans abrisme, des études menées au Royaume-Uni évaluent entre 13 et 18,5 % la prévalence de l’autisme parmi les populations sans-abri.

    Un déterminisme lié à leur profil, à leur vulnérabilité intrinsèque ? Non. Plutôt à une construction sociale,  à la production du dogme de la normalité, de normes excluantes, qui interdisent de fait à ceux qui pensent différemment, à ceux qui interagissent avec les autres et leur environnement de manière non-conventionnelle, de garder la place qui devrait être la leur : au sein du groupe social.

    Réduire cette nouvelle anthropologie qui réhabilite la variabilité humaine à une tendance New Age, l’amalgamer à quelques gourous opportunistes serait une grave erreur. Au même titre que réduire l’urgence féministe à une pleurnicherie de tiktokeuse. Notre civilisation a besoin du concept-mouvement de la neurodiversité pour devenir plus humaine et plus juste.

    Moins de science ou plus d’éthique? 

    Entrelacé aux autres mouvements d’émancipation, le mouvement pour la reconnaissance de la neurodiversité s’élève aussi contre l’hégémonie médicale et nous invite à repenser notre approche du pathologique. Soignons-nous pour le bien-être du sujet, ou pour le normaliser ? Quelle finalité se dissimule derrière le projet de corriger les corps ?

    Parce que la constitution d’un sujet est infiniment plus complexe, les personnes atypiques s’élèvent contre l’essentialisation. Elles ne sauraient se réduire à un trouble, à un diagnostic, à une « situation de handicap » décontextualisée.

    Mais il convient sur ce point d’être vigilant et nuancé : questionner les pratiques médicales et les choix politiques qui produisent de la ségrégation ne signifie pas refuser le soin. La réhabilitation du divers ne se dresse pas contre la science, ni contre la clinique. Au contraire, bien que la créatrice du concept, Judy Singer, soit sociologue, la neurodiversité puise sa légitimité dans la recherche scientifique. Car c’est bien la recherche scientifique qui permet de comprendre l’origine biologique de la diversité des intérêts, des rythmes, des comportements, des compétences sociales et des profils cognitifs. C’est elle, qui libère ce mouvement de la psychanalyse  ou du « tout psycho-social ». Le diagnostic est une arme qui permet de défendre, « le droit d’être soi », pour reprendre le slogan de La Neurodiversité-France.

    La reconnaissance de la neurodiversité s’inscrit ainsi dans une lutte de valeurs : faut-il hiérarchiser les intelligences ou accorder à chacun la présomption de compétence ? Faut-il pathologiser tous les profils ou être à l’écoute du vécu subjectif ? Peut-on considérer qu’une situation est saine sans l’appréciation de la personne concernée ? D’un point de vue éthique, c’est toujours le sujet qui doit faire référence. L’empowerment des personnes neuroatypiques est l’opportunité de fonder une nouvelle relation thérapeutique fondée sur l’expérience. Car non seulement le sujet doit être la référence, mais il doit aussi être la finalité du processus de soin : on soigne, on rééduque, si l’individu en a réellement besoin. Mais parfois, c’est la société qui a besoin de rééducation.

    Ainsi, loin d’être un concept utilisé par une génération désœuvrée ou en manque de reconnaissance, la neurodiversité constitue une nouvelle anthropologie qui révèle, au même titre que le handicap, l’angle mort du débat social. Œuvrer pour plus de sensibilisation, pour des infrastructures appropriées à la neurodiversité, pour le droit à l’auto-détermination, est une priorité politique. Dans une culture qui se revendique pionnière de l’universalisme, le désintérêt politique suscité par la neurodiversité interpelle. Un universalisme qui se refuserait à voir la diversité humaine ne se trahirait-il pas lui-même?

    Juliette Speranza

    Juliette Speranza est autrice et docteure en philosophie. Ses recherches portent sur les normes scolaires, la neurodiversité et les minorités en général. Autrice de pièces de théâtre et de poésie, ses textes renvoient à des thématiques sociales et à la diversité humaine.  Elle a fondé l’association la neurodiversité France en 2019. En 2020, elle a publié l’essai « L’Echec scolaire n’existe pas » (Editions Albin Michel), un ouvrage qui traite de la neurodiversité et de l’éducation.

     

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