« C’est en faisant de l’apnée que j’ai commencé à respirer… » Ainsi commence l’histoire d’Arnaud Jerald : par une plongée dans le grand bleu, à 16 ans. Une découverte, un déclic.
« Je faisais de la chasse sous-marine avec mon père depuis l’âge de 7 ans, lorsqu’il m’a proposé de faire un stage d’apnée pure, afin de me sensibiliser aux règles de sécurité. Au départ, c’était plus pour nous, pour prendre soin l’un de l’autre lors de nos sorties en mer. Mais en remontant le long du câble ce jour-là, en sentant le sourire sur mon visage face au moniteur qui était venu me chercher au fond de l’eau, j’ai su que c’était ce que je voulais faire de ma vie « .
Descendre encore et encore. Plus profondément. Et aller retrouver ces moments de quiétude et d’apesanteur au milieu du silence de l’océan. Loin de cette souffrance qu’Arnaud Jerald, jeune dys, pouvait parfois vivre à la surface parmi ses pairs. « Je me suis toujours senti en décalage » souffle le champion devenu. Car si le jeune homme est aujourd’hui l’un des meilleurs apnéistes français, avec pas moins de 8 records du monde en poids constant bi-palmes, dont le dernier en date battu cet été aux Bahamas (122 m), le chemin pour y parvenir n’a pas été toujours aussi limpide.
Mettre des mots sur sa « différence »
« Petit, j’étais très sensible aux bruits, hypersensible aussi, et je ne comprenais pas bien les choses. C’était très compliqué à l’école » avoue-t-il. Arnaud Jerald est diagnostiqué dys (dyslexique, dysorthographique et dyspraxique ) vers l’âge de « 8- 9 ans ». Il a en effet dû jongler entre une école classique et l’école spécialisée du pédopsychiatre marseillais, le Dr Marcel Rufo, pendant plusieurs années.
« Ce n’était pas toujours facile, notamment lorsque les professeurs disaient à mes parents que je m’en foutais de l’école, que j’étais indiscipliné et qu’ils devaient sans cesse tout me répéter », détaille le jeune homme.
Il se remémore encore certains moments douloureux, comme au collège face à ce professeur de mathématiques qui faisait l’appel en égrenant les tables de multiplication. «On devait répondre du tac au tac à l’annonce de notre nom, mais j’avais beau apprendre par cœur mes tables, c’était beaucoup trop compliqué pour moi. J’ai donc passé mon année à les recopier en guise de punition. »
Le jeune garçon souffre alors, en silence, « de ne pas y arriver comme il faut à l’école ». Heureusement, spécialistes et orthophonistes aident la famille à mettre des mots sur cette différence, à la décrypter. Et surtout, à la comprendre. « Ils nous ont expliqué que je percevais les choses autrement et qu’il fallait juste adapter l’environnement pour que cela aille mieux. Cela a rassuré mes parents, aidé les professeurs à comprendre, et j’ai pu continuer dans un cadre scolaire classique. » Il réussira ainsi à décrocher un Bac Pro, puis un BTS électrotechnique, juste pour « se prouver que je pouvais faire des études après le bac ».
« L’apnée m’a apporté des solutions, des perspectives »
Car son avenir, cela fait déjà quelques années qu’il l’imagine ailleurs, vers les profondeurs des océans. Depuis ce stage d’apnée pure, il n’a qu’une idée en tête : y retourner et réussir à en faire son métier. Il a d’ailleurs commencé à s’entraîner en cachette. Il s’est documenté, a dévoré tous les ouvrages qu’il a pu trouver sur cette discipline qui l’aimante. « L’apnée m’a apporté une solution, des perspectives. Tout à coup je savais que j’avais un avenir plus cool qui se profilait et j’ai voulu tout donner pour y arriver. »
Quitte à froisser ses parents. « Au départ, ils avaient peur, car c’est un sport extrême et ils pensaient que je ne pourrais pas réussir à en vivre. » Mais le garçon est entêté et obstiné, passionné aussi, et il parvient à les convaincre, embarquant également dans son aventure la directrice du lycée Don-Bosco, où il étudie. « Un jour, elle m’a fait venir dans son bureau pour me demander pourquoi j’étais toujours fatigué. Je lui ai expliqué que je m’entraînais très tard le soir, en VTT, dans le but de me préparer pour ce projet. Je pensais qu’elle allait me réprimander, mais elle m’a félicité et m’a même proposé de m’offrir ma première combinaison d’apnée. » C’est ce coup de pouce inattendu qui va finalement permettre au jeune homme de se lancer, pour de bon, en compétition.
Quelques mois plus tard, en 2017, il décroche son premier titre de champion de France en poids constant bipalmes et atteint les -100 m en monopalme dans la rade de Villefranche. Deux ans plus tard, il signe son premier record du monde en plongeant à -112 mètres lors de la coupe d’Europe à Kalamata en Grèce, et devient à la surprise générale le plus jeune recordman du monde d’apnée. L’un des plus talentueux aussi.
« être dys est une force »
« C’est parce que j’ai eu la chance de commencer très tôt avec la chasse sous-marine » suppose-t-il aujourd’hui d’un sourire.
Ses troubles dys ? « Cela a été une force » assure Arnaud Jerald.
Car « mon rapport au temps est différent. La barrière mythique des 100 mètres n’a donc jamais été une limite mentale pour moi, contrairement à beaucoup d’apnéistes. Je l’ai franchi très tôt, sans vraiment me poser de questions. » Même chose concernant sa préparation avant de plonger. « Je suis capable de me mettre dans un état de concentration efficace en 1 ou 2 minutes, alors que les autres prennent 15 à 20 minutes. » Les profondeurs, au contraire, lui apportent « un sentiment de confiance en soi » et « de plénitude » qu’il n’avait jamais ressentis jusqu’alors. « L’apnée m’a aidé à mieux me connaitre » et à dépasser « cette timidité » maladive hors de l’eau. « J’ai dû énormément travailler avec mon orthophoniste pour réussir à parler devant les autres : mes parents d’abord, mais aussi les amis, les médias, les sponsors. Mais cela m’a énormément apporté et cela a changé le regard des autres sur moi…»
Mon rapport au temps est différent. La barrière mythique des 100 mètres n’a donc jamais été une limite mentale pour moi, contrairement à beaucoup d’apnéistes.
Aujourd’hui, en plus de ses conférences en entreprise sur la prise de risque, Arnaud Jerald n’hésite d’ailleurs plus à revenir aussi sur les bancs de l’école pour échanger sur son parcours de dys avec les collégiens. « J’ai envie de leur montrer comment on peut réussir à vivre de ses rêves, leur dire que c’est possible si on est passionné et que l’on y croit. » Certains parents l’en remercient régulièrement.
Véronique Bury
*Apnée en poids constant, avec ou sans palmes, pendant laquelle l’apnéiste descend le plus profond possible à la seule force des muscles de ses jambes et de ses bras.